Transformation numérique : “remettre le métier au centre de l’activité”

« Les effets de la transformation numérique sur l’emploi sont multidimensionnels, et les approches théoriques comme statistiques déployées omettent souvent de tenir compte de la dimension organisationnelle. Nos investigations mettent en évidence le fait que la plupart des études « macro-économiques » et statistiques sur l’impact de la transformation numérique reposent sur une approche relativement statique, passant à côté de la prise en compte du travail concret, des dynamiques des organisations. L’un des principaux messages qui en ressort est ainsi la nécessité de “remettre le métier au centre de l’activité”. En ce sens, l’ampleur des transformations liées au numérique obligent ceux qui cherchent à en comprendre les impacts sur le travail, quelle que soit leur discipline, à mettre le travail concret au “cœur du regard social”. Bref, à penser le numérique “depuis la technicité du travail”, et non plus à penser le travail du point de vue des conditions juridiques, économiques, et sociales de son exercice. C’est un enjeu essentiel pour les études syndicales, car ces dernières confrontent les éléments de méthode à la réalité concrète des enjeux de transition, et s’interrogent sur la faisabilité du cheminement de la transition, ce qui est très rarement le cas dans les approches plus académiques. »

Tel est le constat de l’étude « L’impact de la transformation numérique sur les conditions de travail et d’emploi. Un aperçu général complété par deux études de cas : les chauffeurs-routiers dans le transport de marchandises et le personnel non-enseignant dans les établissements scolaires » menée par l’IRES et l’Orseu pour l’UNSA Education (dans le cadre des agences d’objectifs de l’IRES).

La recherche fait un tour d’horizon tout à la fois théorique et empirique de l’impact de la transformation numérique sur le travail, avec un focus sur deux secteurs particuliers d’intérêt pour l’UNSA : le transport de marchandises et l’éducation. Elle s’est basée sur une revue de la littérature, une exploitation d’enquêtes statistiques en particulier sur les conditions de travail, ainsi que sur des entretiens centrés sur des métiers spécifiques des deux secteurs privilégiés : les chauffeurs routiers dans le cas du transport de marchandise, le personnel non enseignant dans les établissements scolaires.

Elle met tout d’abord en évidence que les effets des nouvelles technologies sur l’activité et les compétences sont donc très variables selon les arbitrages effectués dans les modalités d’organisation du travail. Il n’y a pas d’automaticité dans les conséquences de la technologie sur le travail et les compétences, mais plutôt des choix effectués, avec des impacts plus ou moins importants sur l’emploi et les compétences. Ce sont donc les choix des entreprises ou des administrations qui influent sur les évolutions professionnelles et donc sur les apports positifs ou négatifs du numérique sur celles-ci.

Concernant l’emploi, 9% à 16% d’entre eux présente en France un fort risque d’automatisation et donc de disparition. Ainsi, dans le secteur des transports, les métiers de la conduite représentent la seconde catégorie de métiers les plus susceptibles d’évoluer avec les changements technologiques. Pour l’éducation, l’effet de la transformation sur le métier d’enseignant est loin d’être évident, il peut par contre avoir un effet plus important sur certains métiers administratifs.

Les impacts de la transformation numérique nécessite de mobiliser, bien davantage que cela est fait aujourd’hui (particulièrement en France) le recours à la formation. En effet, la transformation des compétences suppose de tenir compte des différents évolutions possibles – de l’adaptation à un nouvel outil jusqu’à la reconversion en vue d’une mobilité professionnelle en passant par les évolutions supposant l’acquisition de nouvelles compétences. Mobiliser le système de formation continue et initiale apparaît comme essentiel, à l fois pour faire face à une demande très forte en profils qualifiés et pour agir sur les compétences des travailleurs peu qualifiés. En préconisant notamment de doubler le temps de formation continue des actifs pour le porter à 10% du temps de travail, l’OCDE insiste sur l’importance des enjeux mais aussi sur la nécessité pour les entreprises d’investir ce sujet.

Le rapport précise encore que « les impacts des nouvelles technologies sur le travail ne sont pas unilatéraux, et il est nécessaire de placer les enjeux au niveau de l’entreprise. Si certaines technologies peuvent apporter un vrai soutien et de réelles ressources pour le bon déroulement des activités, d’autres, en revanche, peuvent se révéler extrêmement délétères pour le bien-être des salariés en altérant les conditions d’exercice du travail ou en s’appropriant le cœur du métier, celui qui fait sens pour l’individu et qui donne du sens à l’activité. Dans cette approche il s’agit d’interroger l’équilibre entre contraintes et ressources pour le travailleur dans son activité, et de placer les enjeux au niveau des formes de régulation du travail, au niveau de l’entreprise notamment, ce qui pose la question du dialogue social centré sur ces enjeux. » Ainsi l’utilisation des outils numériques tend à se traduite par une.accélération des temps du travail ou plus précisément leur compression, liée à une multitudes de sollicitations « provenant de multiples canaux, obligeant le salarié à trouver du temps pour y répondre. »

L’ensemble des résultats de cette recherche -nous aurons l’occasion de revenir en détail sur certains dans de prochains articles- met en évidence l’impact social et professionnel de la transformation numérique ainsi que la faible ou non association des personnels aux évolutions de leurs entreprises ou administrations et de leurs métiers. Cela prive l’ensemble des structures d’une expertise de terrain, nécessaire à la mise en œuvre de plans d’accompagnement, de formation, de management. C’est pourquoi il est indispensable que les organisations syndicales s’emparent de ce sujet, s’alimentent des connaissances issues de la recherche, conduisent la réflexion au niveau macro et impliquent salarié.e.s et agent.e.s dans la redéfinition des missions et des métiers.

La totalité du rapport de recherche est disponible ici : Rapport FINAL 16032020V2-def3

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