L’autorité dans une école désétatisée ? Un paradoxe et un contre-sens historique

« Remettre l’autorité à l’école » : telle serait la solution prônée par Emmanuel Macron suite aux émeutes de début juillet. Pour le président, cela passerait par l’inscription de l’Éducation dans le domaine régalien (comme l’armée ou la police). Alors qu’un ministre précise dans la presse (le Figaro du 7 juillet 2023) « L’Éducation nationale est un naufrage, Il va falloir se montrer très radical. Il faut tout désétatiser. Le drame de l’Éducation nationale, c’est que lorsque le président de la République ou la première ministre dit quelque chose, les syndicats n’en ont rien à faire. Ils empilent les circulaires en attendant la suite. Il y a un vrai sujet d’exécution en France. Or, sans exécution, la parole publique est discréditée

Pas vraiment besoin d’être grand clerc pour comprendre que derrière cette critique du système scolaire est tapi un futur remaniement ministériel avec le remplacement de Pap Ndiaye rue de Grenelle. Mais au-delà de la manœuvre politicienne, plusieurs éléments sont en jeu dans ces annonces.

Le premier -et non le moindre (nous reviendrons dans d’autres articles sur les autres éléments) – relève d’un paradoxe : que signifie « désétatiser » l’Éducation en même temps que l’inscrire comme « un sujet régalien ». Faut-il plus ou moins d’État dans la conduite de la politique d’Éducation ? Sur son blog, l’historien Claude Lelièvre* rappelle justement que c’est pour rétablir l’ordre que les libéraux, venant d’accéder au pouvoir au début des années 1830, ont voté « la loi Guizot du 30 juin 1833 instaurant un service d’enseignement public centralisé dans le primaire », faisant ainsi que « l’École est devenue une affaire d’État ». Avant donc Jules Ferry et suite aux « séditions républicaines et sociales, parisiennes et lyonnaises (celle des Canuts) des années 1831 et 1832 », l’État s’empare de l’École pour en faire un instrument de discipline (morale) bien plus que de disciplines (d’enseignement). Dans dans sa « Lettre aux instituteurs » du 16 juillet 1833, le ministre François Guizot justifie ce choix « pour l’État lui-même et dans l’intérêt public. C’est parce que la liberté n’est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter, en toute circonstance, la voix de la raison. L’instruction primaire universelle est désormais en effet une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale […] ».

Ce choix ne sera pas démenti par Jules Ferry, lui-même fervent défenseur d’une l’École centralisée, ‘’étatique’’, lorsqu’il affirme que si l’État doit s’occuper d’Éducation « ce n’est pas pour créer des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe d’éducation : il s’en occupe pour maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui sont nécessaires à sa conservation. » (Discours programme de Jules Ferry à la Chambre des députés du 26 juin 1879).

Paradoxe et contresens historique du « en même temps » macronien donc de vouloir à la fois plus d’ordre et d’autorité, et de laisser penser que cela pourrait se faire en désétatisant l’École…

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* https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/130723/desetatiser-l-education-nationale-un-contre-sens-historique


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