Illustration : Georges Pompidou et Olivier Guichard qui fut son ministre de l’Éducation nationale de 1969 à 1972 (gettyimage)
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Depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron insiste sur sa volonté d’inscrire l’Éducation –et à vrai dire l’École – dans le domaine régalien, c’est-à-dire d’en faire un « domaine réservé » du président de la République. Ses prises de parole, ses déclarations (dont son interview au Point), ses déplacements tendent à confirmer cette ambition, au risque même d’effacer ou de faire de l’ombre au ministre dont l’Éducation nationale est la responsabilité.
Si elle n’est pas inédite, cette situation est pour le moins surprenante et ambigüe.
Une affirmation sans fondement constitutionnel
Tout d’abord cette conception du chef de l’État ne repose sur aucun fondement constitutionnel. En effet, la constitution de 1958, si elle attribue de nombreux pouvoirs au Président de la République, ne lui définit aucun domaine réservé. Même dans des champs particulièrement sensibles comme la défense ou la diplomatie, elle « institue une sorte de « copilotage » par le président et le Premier ministre » affirme Jean-Claude Zarka* qui précise que « d’une manière générale, la théorie relative au « domaine réservé » (défense, relations internationales) du chef de l’État n’a aucune réalité constitutionnelle puisque l’intégralité des pouvoirs reconnus par la Constitution au président dans le domaine de la défense nationale comme dans celui de la diplomatie est soumise au contreseing du Premier ministre ». Frédéric Bozo**, confirme que la Constitution institut que c’est le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (art. 20) et que c’est « donc avant tout la pratique des institutions telle qu’inaugurée par le général de Gaulle et légitimée, à partir de 1965, par l’élection du président au suffrage universel direct, pratique confirmée et entretenue par ses deux premiers successeurs, qui a, dans les faits, installé ce prétendu « domaine réservé », qui, en politique étrangère, laisse au Premier ministre une place limitée et, pour l’essentiel, un rôle de mise en œuvre au titulaire du Quai d’Orsay ».
Attribuée semble-t-il à Jacques Chaban-Delmas en 1959, cette expression de « domaine réservé » si « elle ne signifie pas que l’action en matière de politique étrangère et de défense relève du seul président de la République, le Gouvernement disposant lui aussi, de par la Constitution, de larges prérogatives »***, trouve encore moins de signification dans le domaine éducatif qui relève en totalité de la responsabilité du gouvernement sous le contrôle du parlement.
Un précédent pompidolien ?
Dans un excellent article, Sabrina Tricaud**** a interrogé le fait que l’éducation puisse avoir été un domaine réservé pour Georges Pompidou entre 1962 et 1968. Il est à noter que l’homme était alors Premier ministre et non encore Président et qu’il considérait effectivement être plus au fait des questions d’éducation que le général De Gaulle, comme le suggère le suggère Alain Peyrefitte dans ses mémoires et auquel, après sa nomination rue de Grenelle, Georges Pompidou aurait dit :
« Pendant quatre ans, j’ai beaucoup travaillé pour l’Éducation. En réalité, le ministre, c’était moi. […] Je me sentais attiré vers ce domaine. Maintenant, je ne vais plus pouvoir m’en occuper. […] Alors, je vous fais confiance. […] L’Éducation nationale, prenez-la en main. Simplement, tenez-moi au courant de temps à autre, en venant me voir une fois par mois, davantage si les affaires le demandent. […] Je sais ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire avec l’Éducation nationale. Le Général, ce n’est pas son monde, ce n’est pas son affaire. Il le sait bien, d’ailleurs. […] Faites-moi confiance.” »
Pour autant et malgré les oppositions qui vont se révéler, en particulier sur les questions d’orientation et de sélection, jusqu’au vote de la réforme d’Edgar Faure, à laquelle il adhère plus par raison que par conviction, Georges Pompidou fera de l’éducation un domaine privilégié de son action gouvernementale, sans jamais la revendiquer comme « un domaine réservé ». « Un domaine d’intervention, mais pas d’interventionnisme, dans le respect de la pratique gaullienne des institutions » précise Sabrina Tricaud, qui prolonge : « élu président de la République, Georges Pompidou continua de porter une attention particulière à ces questions, tout en respectant les prérogatives de ses ministres de l’Éducation nationale. Olivier Guichard écrit ainsi, dans Un chemin tranquille :
« J’ai dit combien de Gaulle respectait ses ministres. Eh bien Pompidou montra le même respect. […] Il tenait à ce que je fusse le vrai ministre de l’Éducation nationale : il y sacrifia son avis personnel. »
Il ne reste plus qu’à souhaiter que l’actuel Président de la République soit capable de la même sagesse et abnégation, afin de laisser le gouvernement conduire la politique et les ministres la mettre en œuvre dans les domaines qui sont les leurs, sans leur imposer ses avis personnels. C’est une nécessité pour permettre un véritable dialogue dans le champ de l’Éducation, domaine dans lequel ses nombreuses approximations (sur la durée des vacances scolaires, sur les programmes d’histoire et de EMC, sur les dérives d’un soi-disant « pédagogisme »…) montrent combien il lui est éloigné, combien « ce n’est pas son monde ».
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* Zarka, Jean-Claude. « Chapitre 3. Les pouvoirs du président de la Ve République », , Les institutions de la Ve République. sous la direction de Zarka Jean-Claude. Ellipses, 2018, pp. 59-84.
** Bozo, Frédéric. « Chapitre I. Le président de la République », Maurice Vaïsse éd., Diplomatie française. Outils et acteurs depuis 1980. Odile Jacob, 2018, pp. 47-53.
**** Tricaud, Sabrina, L’éducation, un « domaine réservé » pour Georges Pompidou (1962-1968) ? in POUCET (Bruno), VALENCE (David) (dir.), La loi Edgar Faure. Réformer l’université après 1968, PUR, 2016
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