Alors qu’Emmanuel Macron vient d’inaugurer sa Cité internationale de la langue française au Château de Villers-Cotterêts, le mémoire de Julia Druelle consacré aux « Écrans parlants : l’image des langues de France à la télévision publique » est en lice pour le prix Maitron organisé par l’UNSA Éducation et le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains de Paris 1. Sans présager aucunement des avis qu’émettra le jury du prix sur ce travail, il est intéressant de constater une actualité nouvelle de ce sujet : la place de la langue française.
En effet célébrer, valoriser, mettre à l’honneur la langue n’est en rien neutre. C’est avant tout un choix et un acte politique. Le président Macron ne l’a pas contesté lors de l’inauguration de cette cité qu’il a voulue, dans un lieu qu’il a choisi… et qui en dit long sur ses intentions. Dans ce château, François 1er en août 1539 impose que les actes officiels et notariés soient désormais rédigés en « langue maternelle française » et non plus en latin, comme cela était le cas jusqu’alors.
Une seule langue donc, « la langue maternelle française ». Mais la langue de qui ? Le grammairien La Ramée, dit Ramus, prête au roi les propos suivant :
« … il était bienséant, combien que le langage demeurast à la populace, néanmoins que les hommes plus notables étant en charge publicque eussent comme en robe, ainsi en parolle, quelque préémnence sur les inférieurs ».
Réels ou supposés ses dires n’en reflètent pas moins une réalité de l’époque. Le français ainsi revendiqué est la langue du roi, d’une élite, des nobles… tout comme l’était le latin, c’est une langue savante de la distinction.
Alors que la majorité des habitant.es de France parlent une langue maternelle locale, un patois qui diffère d’un lieu à un autre, la volonté progressive d’unification par la langue unique du pouvoir, impose non seulement un moyen d’expression et d’échange commun, mais une manière de dire et de penser unifiée. Une anticipation de la fameuse formule « nos ancêtres les gaulois » due à Lavisse dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (commencé en 1878 et publié en 1887).
Comme pour l’histoire de France – souvent envisagée comme devant portée le « roman national », l’école sera le vecteur privilégié de la diffusion et de l’apprentissage de la langue nationale que devient progressivement le français. Et elle le fait dans un contexte d’existence de nombreux autres parlers. Si sans conteste l’enseignement du français s’impose dès la révolution et parait comme une évidence sous la IIIe République ou sous l’Empire, la question pédagogique va tout au long du XIXe siècle agiter les débats. Faut-il ignorer la langue des élèves, considérer qu’ils ne savent rien comme le préconise, en parlant du petit Breton, l’inspecteur de Vannes Poitrineau, disciple de Carré :
« S’il a huit ans d’âge physiquement, il en a trois à peine pour le développement intellectuel. Y a-t-il lieu, dans ces conditions, de tenir compte des quelques mots bretons qui lui ont suffi pour traîner jusque là une vie rudimentaire ? Je ne le crois pas. Mieux vaut admettre qu’il ne sait rien et commencer avec lui par le commencement, comme on fait à l’école maternelle » cité par Fanch Morvannou, Le Breton, jeunesse d’une vieille langue, Brest, 1980, p. 33.).
Ou au contraire, comme le défendent plusieurs instituteurs et inspecteurs, faut-il se servir du patois pour mieux montrer la supériorité du français et le faire apprendre :
« Avec les grands élèves, il y aurait quelquefois plaisir et profit à mettre en parallèle le patois et le français. Le patois a des ressources que le français n’a pas, mais c’est une langue insuffisante pour répondre aux besoins d’une société polie et jouissant d’une civilisation avancée. Rien ne met mieux ce fait en lumière que l’embarras dans lequel on se trouve quand on veut traduire en patois un passage d’un classique. Cette comparaison doit faire comprendre à l’élève que, s’il ne doit pas rougir de son patois, il doit mettre tous ses soins à étudier le français » (brochure d’un instituteur ariégeois du nom de Beulaygue, « L’enseignement du français à l’école rurale », citée par Philippe Martel dans L’école française et l’occitan : Le sourd et le bègue, Montpellier : Presses universitaires de la Méditerranée, 2007).
Il est important de noter que l’imposition du français à l’école va conduire à deux conséquences majeures. Tout d’abord, à l’éradication presque totale des patois et langues locales. Mêmes si des lexiques sont conservés comme évocations de « parlers disparus », les sanctions appliquées aux élèves qui continuent à s’exprimer autrement qu’en français y compris dans la cour de récréation conduisent à un mésusage de tout autre langue. Par ailleurs, le recrutement des instituteurs sur leur connaissance de l’orthographe française va fixer de manière normative la langue française enseignée. Là encore, en fonction de la durée des études, la distinction par la maitrise de la langue sera notable.
Il faudra attendre 1951, avec la loi Deixonne, pour rendre officiel l’enseignement des langues régionales. Bien qu’il n’y ait plus de risque de sécession ou de séparatisme, chaque Français.e parlant et apprenant le français et les locuteurs des langues régionales étant très minoritaires, cet enseignement sera essentiellement limité aux lycées. En 1975 la loi Habby, puis la circulaire Savary de 1982, vont progressivement structurer la possibilité d’un enseignement pour tou.tes des langues régionales, même si les conditions de réalisation restent difficile (manque d’enseignant.es formé.es…).
L’école a ainsi contribué à l’imposition du français comme langue commune et unique de la République en niant les autres parlers, voire en tentant de les faire disparaître. En cela, elle a contribué à la fois à figer la langue et à la placer au sommet des éléments constitutifs de l’identité française. En instituant une cité de la langue française à Villers-Cotterêts, le président Macron, même s’il s’en défend en revendiquant le caractère international de la francophonie, ne renforce-t-il pas cette vision d’une supériorité française ? En refusant l’inscription dans la langue des marques de l’égalité femme-homme, ne s’inscrit-il pas dans la conservation d’une langue hors de son temps. En ne relançant pas le débat sur la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires par la France ne nie-t-il pas la diversité culturelle des français.es et leur richesse ?
Espérons que les mots de Victor Hugo dans sa préface de Cromwell ne cessent de présider à la politique linguistique et culturelle de la France, à Villers-Cotterêts comme ailleurs :
« […] la langue française n’est point fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. […] Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et envahissent un autre. Tout ce que leur flot déserte ainsi sèche et s’efface du sol. C’est de cette même façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont. Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu’y faire ? Cela est fatal. C’est donc en vain que l’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C’est en vain que nos Josué littéraires crient à la langue de s’arrêter ; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. – Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte ». (Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827).
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