Santé mentale et psychologique des jeunes : les neurosciences ne suffisent pas

Des enfants et des jeunes qui vont mieux

En dehors de la période particulièrement anxiogène et perturbante de la pandémie de Covid-19, «beaucoup de jeunes vont très bien, même mieux qu’avant ! Ils sont plus sociables, font plus attention à l’autre. L’éco-anxiété, le véganisme, c’est le signe qu’on fait attention à la planète, au futur, c’est extrêmement altruiste » affirme le pédopsychiatre et président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (SFPEADA) Bruno Falissard, qui complète « C’est vrai qu’ils vivent difficilement les changements de la société et la perte de certains repères. Et le Covid a compliqué les choses. Mais cela ne relève pas de la psychiatrie. Il faut admettre qu’il y a des choses à changer dans la société et non considérer qu’ils vont intrinsèquement mal ».

Le professeur appuie son affirmation sur les données actuelles : « entre 2004 et 2018, le taux de suicides chez les adolescents a diminué de 40 % en France. Leur consommation d’alcool et de tabac a diminué régulièrement, celle de cannabis est stable, voire en légère diminution. Il y a donc des indicateurs durs qui laissent penser qu’ils vont plutôt mieux – je mets la pandémie de Covid de côté –, ce qui s’explique vraisemblablement par le fait qu’on s’occupe globalement mieux d’eux ».

Différencier maladie et mal-être

Il distingue pour autant ce qui relève de la maladie nécessitant l’intervention de la psychiatrie et un mal-être psychologique (échelles d’anxiété, de dépression), relevant « d’expression émotionnelle », en augmentation dans « la plupart des pays occidentaux depuis le début du siècle ». Comment l’expliquer ? Par la montée de l’éco-anxiété, de la pression scolaire, « mais aussi paradoxalement une plus grande acceptation de la différence. La société est moins structurée, ce qui met certains adolescents mal à l’aise. Prenons les questions de transidentité : c’est bien d’en parler, mais cela crée aussi de nouvelles interrogations. Cela en aide certains mais en met d’autres en difficulté. De la même façon que les réseaux sociaux sont très utiles pour beaucoup d’adolescents – ils sont connectés avec leurs copains, ils échangent – alors que d’autres s’y font harceler ».

Pour le psychiatre, il s’agit de savoir ce que la société veut soigner et mettre en lien la cohérence des soins. Dans cette approche, il regrette une « claire normativité des comportements ». Ainsi dénonce-t-il, la pression scolaire amène à considérer que des enfants ne vont pas bien « alors que c’est l’école qui ne leur est pas adaptée ». S’il constate une augmentation du repérage des troubles dys, et des TDAH il rappelle qu’«  avant, on disait que les enfants étaient des cancres ! ». Quant aux troubles de l’attention que causeraient les écrans, «  les méta-analyses ne prouvent pas de lien ».

Si les enfants vont mieux, la pédopsychiatrie va mal

Pour Bruno Falissard, « il faut distinguer l’état des jeunes de celui du système de soins [et] ce dernier est désastreux, notamment parce qu’on a beaucoup investi dans la technomédecine ». Face au fantasme de la technologie qui va révolutionner la médecine, le professeur réaffirme la dimension humaine de la pédopsychiatrie. Difficile quand « le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux alors que la demande augmente [et que] la moyenne d’âge est aujourd’hui supérieure à 60 ans dans la profession ».

Les neurosciences ne suffisent passaient

La place prise par les neurosciences conduit au risque d’une « biologisation » de la psychiatrie. Or, il s’agit d’être ouvert et cultivé en prenant en compte les apports des neurosciences,mais aussi de la sociologie, de la philosophie, de la psychanalyse, de l’anthropologie. Bruno Falissard précise : « Vous ne pouvez pas soigner des enfants migrants, qui vivent un choc de cultures, uniquement avec des neurosciences ».

Son approche rejoint celle développée par la chercheuse en neurosciences Samah Karaki, dont le dernier livre, « Le talent est une fiction » dénonce un « réductionnisme biologique ». Elle défend l’idée que « les disciplines académiques usent souvent de manières différentes pour donner un sens au monde ». Et si elle reconnaît que « parfois, il est tentant pour les scientifiques de certains domaines de supposer que leurs disciplines sont maîtresses, offrant un aperçu plus privilégié que tous les autres types de connaissances, capables de percevoir ce que les autres approches ne peuvent pas percevoir », elle milite pour l’adoption d’ « une approche multidisciplinaire en intégrant les perspectives des domaines biologiques et des domaines de l’anthropologie, de l’histoire et de la sociologie ».

Une conception multidisciplinaire encore marginale mais qui tend à se développer chez les jeunes chercheurs qui permettra de prendre encore mieux en charge les enfants et les jeunes qui en ont besoin, sans substituer une « technomédecine » aux indispensables relations humaines et aux démarches éducatives.

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Le témoignage de Bruno Falissard « Les jeunes ne vont globalement pas plus mal qu’avant » est publié dans le numéro hors-série (2023/HS5) de la revue L’école des parents, p. 9-12. https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris13.fr/revue-l-ecole-des-parents-2023-HS5-page-9.htm

Le livre de Samah Karaki, Le talent est une fiction, a été publié aux éditions Lattes en janvier 2023.


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