Et pourtant, elles et ils écrivent

Parce qu’assimilés à des consommateurs passifs de contenu vidéo, les adolescents d’aujourd’hui ont-ils abandonné toutes pratiques d’écriture ? L’association Lecture Jeunesse, récusant cet a priori, a mené une double enquête : quantitative auprès de 1 500 jeunes français âgés de 14 à 18 ans et qualitative constituée de 50 entretiens individuels auprès de ce même public. Son rapport intitulé « Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIe siècle : nouveaux pouvoirs de l’écriture ? », montre que «  loin d’éliminer les pratiques d’écriture, la possession très répandue de téléphones portables, la forte activité sur internet, la constitution d’une « technoculture » favorisant l’autoproduction de contenus et facilitant leur diffusion, le développement d’apprentissages scripturaux dits informels car réalisés hors du cadre scolaire, pourraient plutôt reconfigurer la culture graphique des adolescents ».

Cette recherche vient combler un manque car si la lecture fait l’objet d’une importante littérature scientifique, l’écriture des jeunes est nettement moins étudiée, cantonnée aux écrits scolaires ou à certains formats extrascolaires spécifiques, comme les tweets ou les blogs… Cette fois, l’enquête choisit « de ne pas cliver « pratiques scolaires » et « pratiques extrascolaires », afin de faire jouer les représentations spontanées des adolescents lorsqu’on aborde avec eux la question de l’écriture ».

Quels sont les résultats mis en avant ?

Des adolescent.es qui écrivent

Lorsque le terme « écrire » n’est pas défini, ce sont 92 % des répondant.es qui disent avoir une activité d’écriture, qu’elle soit scolaire ou extrascolaire, fréquente : tous les jours ou presque pour 59 %, ou plus rare : parfois pour 33 %. Cette pratique augmente lorsque une définition large de l’acte d’écrire est proposée, comme le montre le graphique ci-dessous.

Une vision « scolaire » restrictive de l’écriture

Cette vision restrictive de l’écriture relève à la fois d’une norme scolaire, qui conduit les adolescent.es à identifier cette activité à « une pratique en phase avec les attendus scolaires (tels que projetés) » nécessitant un bon niveau scolaire et une norme littéraire particulièrement développée chez les garçons « qui peinent à se définir scripteurs lorsqu’ils ne s’adonnent pas à des pratiques rédactionnelles de nature fictionnelle, sous des formes narratives, poétiques, dramatiques, etc. ».

Dans cette même logique l’écriture scolaire est essentiellement corrélée à l’enseignement du « français« . En dehors de cette matière, les adolescent.es « ne mentionnent en général que des situations de réception (copie, cours pris en dictée) et pratiquement jamais des écrits relevant d’une production (résumé à construire en histoire, compte-rendu d’expérience en sciences, résolution de problème en mathématiques…) ». L’écrit scolaire est majoritairement considéré comme une « approche prioritairement – voire exclusivement – évaluative », alors que plusieurs pratiques extrascolaires d’écriture leur apparaissent comme jugées « illégitimes par les enseignants, ou du moins dévalorisées par eux ».

Des différences genrées, mais surtout socialement marquées

L’étude « ne note pas de différences genrées significatives concernant la fréquence d’écriture (les filles sont 1 % plus nombreuses à écrire tous les jours ou presque et les garçons 2 % plus nombreux à n’écrire que parfois) ». Les clivages se situent davantage sur les fonctions assignées par les unes et les autres à l’écriture. Ainsi, pour les filles, l’écriture possède une « fonction organisationnelle (+3 % par rapport aux garçons), intime (+7 %), émotionnelle (+9 %) et ludique (+4 %). À l’inverse, les garçons sont plus nombreux à n’attribuer aucune fonction à l’écriture (+3 %) ». Les filles sont davantage représentées que les garçons dans les diverses formes d’écrits (messages d’amitié, pensées, mots d’amour, histoires, fanfictions), alors que les garçons sont plus nombreux à citer la réalisation de documents professionnels (+8 % par rapport aux filles). 70 % des filles disent pratiquer l’écriture émotionnelle, contre 54 % pour les garçons (soit 16 points d’écart).

C’est essentiellement au niveau sociale et culturel, qu’une fois de plus se jouent les différences les plus marquantes. Ainsi, « les 8 % de jeunes qui se déclarent a priori non-scripteurs (« n’écrit jamais »), sont les adolescents qui déclarent ne pas voir écrire leurs parents (+10 points par rapport à la moyenne), ceux-ci étant non diplômés (+7 points) ou inactifs (+8 points) ». De même, lorsque l’on considère les 33 % d’adolescent.es pour qui l’écriture ne sert à « rien ou pas grand-chose », ce sont majoritairement des collégien.nes (37 %, soit +4 points par rapport à la moyenne), ayant, pour beaucoup des parents qui n’écrivent pas (+9 points), non diplômés (+7 points) ou titulaires d’un BEPC ou brevet des collèges (+5 points) et étant eux-mêmes « plus nombreux à être en centre de formation d’apprentis (CFA), en école de la deuxième chance ou déjà dans le monde du travail (+6 points) ».

Ces données essentielles à prendre en compte par l’ensemble des professionnels de l’éducation. Elles mettent en évidence que loin d’avoir tué l’écriture, l’usage des supports numériques peut la favoriser, en permettre des usages diversifiés, souvent appréciés des adolescent.es lorsqu’elles s’éloignent des formes scolaires classiques et que « la guerre des stylos et des écrans semble donc ne pas avoir vraiment de réalité ».

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L’ensemble des résultats de l’étude  est disponible sur le site de l’INJEP : https://injep.fr/publication/les-adolescents-et-leurs-pratiques-de-lecriture-au-xxie-siecle-nouveaux-pouvoirs-de-lecriture/


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