Une logique de « frayage » éducatif pour sortir des seuls temps scolaires forcés

L’enseignement scolaire est marqué par une organisation de l’espace, dans des lieux dédiés, spécialisés, clos. Consacrés aux apprentissages, ils sont essentiellement conçus pour permettre et valoriser les transmissions. De l’établissement à la salle de classe, une topographie scolaire est repérable et donc porteuse d’une logique éducative.

Il en va de même pour la temporalité. Non seulement un calendrier scolaire marque les périodes, les jours et les heures de « classe », mais les enseignements eux-mêmes sont construits selon une approche chronologique, pensée en successions de phases de « programmation », d’ « action », d’ « évaluation », de « répétition » et d’ « exercice » (selon Samuel Joshua, 2000), dirigées et anticipées par les choix professoraux. Le temps scolaire se présente donc comme une « temporalité didactique forcée », un ensemble de « temps forcés » de « cours préfigurés d’avance qui comprennent un nombre restreint de variations et dont la progression se conçoit comme un « trajet [qui] s’effectue d’un point A à un point B » au milieu duquel « l’élève ne quitte jamais des yeux l’endroit où il est ni celui où il va » (Ingold, 2018) ».

Une alternative est-elle possible ?

C’est sur cette approche que travaille Thibaut Boucher-Ginemez, doctorant au laboratoire interuniversitaire des sciences de la communication et de l’éducation (LISEC), de l’université de Lorraine. Il propose une approche de temps éducatifs faibles dont le frayage, observé dans la pédagogie Freinet, est une illustration. Ces « temps faibles scolaires concernent tout ce qui est donc directement dégagé d’enjeux de savoir programmés au cours d’une activité didactique ordinaire ».  S’ils sont fortement présents dans les démarches socio-éducatives et socioculturelles comme dans l’éducation populaire, ils sont plus rares à l’école où ils relèvent encore souvent du domaine de la clandestinité ou sont regroupés « sous des catégories inachevées conceptuellement comme celle des ingéniosités éducatives (Mencacci, 2010) ».

Pour autant, cette approche moins linéaire et moins programmée, si elle ne permet pas de tout apprendre et donc ne peut se substituer à l’ensemble d’un enseignement plus normatif, offre la possibilité d’un desserrement des temps forcés. Ainsi, « le frayage se conçoit comme une suite de confrontations à une réalité qui résiste. Ce mode de connaissance opère de proche en proche de manière à stabiliser des savoirs et des savoir-faire qui se forment progressivement et deviennent utiles pour réduire cette résistance ». Il permet, aux élèves comme aux enseignant.es, une réappropriation de leurs propres rythmes, tant dans leur concentration que dans leur divagation, à la fois en suivant les rives et en s’éloignant au milieu du fleuve. Il s’agit dans une «  une pensée buissonnière » (Jorro, 1999, p. 115) de se frayer un chemin vers « l’objet de savoir identifié qu’il s’agit de comprendre ». Une manière de rappeler avec Lucien Sève (L’école et la nation, 1964) que « si l’on veut accéder à une compréhension scientifique du développement intellectuel, il faut poser en principe que le processus éducatif est constitué par la totalité de ce qui arrive à l’individu chaque jour de sa vie et 24 heures sur 24. Et dans cette totalité, ce qu’on tient souvent pour des détails, auxquels on ne songe même pas, peut jouer un rôle de premier plan ». Cela est aussi vrai dans les temps que l’on peu dire faibles de l’enseignement, qui peuvent faciliter les apprentissages de nombreux élèves en difficultés pour cause d’enfermement dans une accumulation de temps forcés.

—–

Pour en savoir plus :

Thibaut Bouchet-Gimenez, « À l’école des temps faibles. Quelques enjeux didactiques d’une éducation en mineur », Recherches en éducation [En ligne], 52 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023,  URL : http://journals.openedition.org/ree/11970  ; DOI : https://doi.org/10.4000/ree.11970


En savoir plus sur Centre de Recherche de Formation et d'Histoire sociale - Centre Henri Aigueperse - Unsa Education

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

En savoir plus sur Centre de Recherche de Formation et d'Histoire sociale - Centre Henri Aigueperse - Unsa Education

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture