Travail des enfants : de la loi Joubert il y a 150 ans à aujourd’hui

Le 19 mai 1874 était publiée la loi Joubert pour cadrer le travail des enfants et des filles mineures employées dans l’industrie. C’est l’occasion pour le centre Henri Aigueperse de rappeler à nos mémoires le contexte « éducatif » d’il y a seulement 5 générations, de nous souvenir du rôle de Louis Réné Villermé, concepteur de la médecine du travail, dans cette évolution et de porter un regard sur le travail des enfants dans le monde aujourd’hui.

Ce n’est qu’en 1841, que le travail en France a été interdit aux enfants de moins de 8 ans. Si la loi Joubert 33 ans après, instaure un cadre plus protecteur de leurs ainés, celle-ci décrit une réalité bien rude du monde industriel pour ces êtres en croissance et en construction.

Elle retient l’âge de 12 ans pour un travail à « temps plein », soit douze heures par jour divisées par des repos. Mais les dérogations sont nombreuses : les filatures, la papeterie et la verrerie peuvent continuer à embaucher des enfants de 10 ans six heures à la journée.

Dans la papeterie, et les usines métallurgiques, le travail de nuit, le dimanche et jours fériés pour les enfants de 12 à 16 ans reste possible.

Le travail dans les mines interdit aux filles et aux femmes est possible pour les garçons dès 12 ans.

Concernant l’instruction primaire, l’article 8 assurent un droit à l’instruction pour les enfants travailleurs de moins de 12 ans, pendant 2 heures au moins, durant le temps libre du travail. L’article 9 confère même aux instituteurs, un rôle de garde-fou : « aucun enfant ne pourra, avant l’âge de quinze ans accomplis, être admis à travailler plus de six heures par jour, s’il ne justifie, par la production d’un certificat de l’instituteur ou de l’inspecteur primaire, visé par le maire, qu’il a acquis l’instruction primaire élémentaire. Ce certificat sera délivré sur papier libre et gratuitement. »

L’application de la loi Joubert de 1874 s’étend aux ateliers de moins de vingt ouvriers, jusqu’ici exempts de toute contrainte légale. Mais elle exclut de son champ d’application, l’ensemble des activités à domicile et du travail de la terre, laissées à l’appréciation patriarcale.

Cette loi a donc posé des bornes, mais en protégeant les uns elle au aussi légalisé l’emploi des autres. Dans le monde industriel, elle a finalement protégé les intérêts des grands industriels, visant constamment à accroître leur rendement de leurs usines dont le cadencement ne cessait de s’accélérer.

Margé tout, cette loi, très incomplète, est un premier pas et a la vertu de réguler le cadre de travail des générations d’enfants qui subissent l’essor de l’industrialisation. Elle a ouvert la voie à celle de l’adoption de la gratuité de l’instruction publique le 16 juin 1881, puis celle du 28 mars 1882, votée sous l’impulsion de Jules Ferry, rendant la fréquentation de l’école obligatoire jusqu’à 13 ans.

C’est donc bien une régulation politique concernant des enjeux socio-économiques, abordés par l’angle de l’hygiène et la sécurité qui ont amené la société française, à progresser dans le domaine éducatif et scolaire.

À la suite de plusieurs pétitions réclamant une réglementation sur le travail des enfants, l’Académie des sciences morales désigne en 1835, un binôme médecin-économiste pour établir une enquête.

C’est ainsi que Louis René Villermé et Louis-François Benoiston de Châteauneuf ont visité les grandes industries du pays et dressé le paysage de l’enfance peinant sur le joug des patrons d’alors. A partir des données recueillies sur le terrain (ils sont même allés dans les familles), ils ont établi un rapport très documenté décrivant les conditions de vie et de travail des enfants et l’impact sur leur santé. Villermé, considéré depuis comme précurseur de la sociologie et concepteur de la médecine du travail, est entré dans un travail de démographe et a recensé les données quantitatives permettant d’établir les premières données statistiques d’ampleur sur le sujet. Celles-ci font clairement apparaitre le rôle et la responsabilité du patronat.

Le Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, paru en 1840, est donc bien à l’origine de la loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures qui limite l’âge d’admission dans les entreprises à huit ans. Ensuite, les évolutions ont été lentes : une proposition de loi en 1870 est restée au stade de projet. Puis, 18 mois se sont écoulés entre le début des débats sur le projet présenté à l’Assemblée par le député monarchiste et l’industriel Ambroise Joubert et le vote de la loi en 1874.

Le constat est glaçant : le travail des enfants dans le monde est en augmentation.

« Selon les dernières estimations mondiales, 160 millions d’enfants dans le monde – 63 millions de filles et 97 millions de garçons – étaient astreints au travail des enfants au début de l’année 2020, soit près d’un enfant sur 10 à l’échelle mondiale. De plus, 79 millions d’enfants – près de la moitié de tous ceux qui étaient astreints au travail des enfants – effectuaient des travaux dangereux mettant directement en péril leur santé, leur sécurité et leur développement moral. ». Le rapport Travail des enfants : Estimations mondiales 2020, tendances et chemin à suivre publié par l’Organisation internationale du Travail (OIT) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), admet que de réels progrès ont été accomplis depuis 2016 « pour éliminer le travail des enfants dans les régions d’Asie et Pacifique, et d’Amérique latine et Caraïbes » mais pointe une augmentation en nombre et en pourcentage d’enfants en Afrique subsaharienne.

« Des progrès constants ont été enregistrés au cours des quatre dernières années en ce qui concerne les enfants âgés de 12 à 14 ans et de 15 à 17 ans. Dans ces deux groupes d’âge, on constate une baisse constante du travail des enfants, en pourcentage et en chiffres absolus, depuis les dernières estimations. En revanche, pour les enfants âgés de 5 à 11 ans, on note une augmentation du travail des enfants, après que les estimations mondiales de 2016 ont révélé un ralentissement des progrès constatés dans ce groupe d’âge. En 2020, le nombre d’enfants âgés de 5 à 11 ans astreints au travail des enfants avait augmenté de 16,8 millions par rapport à 2016. »

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 112 millions d’enfants travaillent dans l’agriculture, notamment dans l’élevage, la pêche, l’aquaculture et la sylviculture. Soit près de 70 % des enfants qui travaillent dans le monde.

Si l’accès à la scolarisation protège nos petites françaises et petits français, le travail des enfants reste malheureusement biend’actualité. Dans le contexte de libre circulation des biens dans le village-monde du XXIe siècle dans lequel nous vivons, cette réalité nous touche peut-être de plus près qu’on ne peut l’imaginer….

Pour aller plus loin :

Loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie (Bulletin de l’Assemblée nationale, XII, B. CCIV, n°3094)

Notice Maitron VILLERMÉ Louis-René, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 20 février 2009.

Le site de l’organisation international du travail : statistiques et recherches sur le travail des enfants.

Estimations mondiales : Le rapport Travail des enfants: Estimations mondiales 2020, tendances et chemin à suivre publié par l’Organisation internationale du Travail (OIT) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).


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