Les vacances sont finies mais vive les vacances !

Au moment où les vacances estivales se terminent, interrogeons-nous sur le rôle et l’histoire des vacances scolaires. Pourquoi une telle période de coupure est essentielle ? Quelle place joue-t-elle dans le développement des plus jeunes ? Comment occuper ce temps de césure ? Le syndicalisme de l’éducation et plus largement les courants politiques à gauche ont depuis longtemps réfléchi au sujet. Retour sur une histoire trop souvent méconnue à l’heure d’une nouvelle rentrée scolaire.

Si les plus jeunes ont, dès la mise en place du temps scolaire, pu bénéficier de périodes de coupure, cela ne fut pas le cas pour l’ensemble de la société. Mais à la fin du XIXème siècle, la question d’une période de respiration dans le travail pour toutes et tous s’est posée. Mais est-ce seulement une pause ? Ou alors un avant-goût d’une période qui doit venir avec l’instauration d’un monde nouveau et qui serait marqué par une moindre importance du travail au profit des loisirs et des vacances [1]? C’est là le principal enjeu qui préoccupe le monde politique à gauche, tout comme le monde syndical.

Les vacances comme respiration

La réflexion sur les vacances est intrinsèquement liée à la question du temps de travail.

Syndicalistes et socialistes ont commencé à y réfléchir sérieusement à la fin du XIXe siècle. Les loisirs et les vacances y ont une place importante et c’est l’ouvrage pamphlétaire de Paul Lafargue Le Droit à la paresse paru en 1880 qui est le plus marquant à ce sujet. Il a d’ailleurs connu une nouvelle célébrité depuis quelques temps au sein de la gauche française, ce qui prouve que cet essai mérite encore aujourd’hui d’être lu et relu[2]. Lafargue parle de trois heures de travail par jour dans son livre et il met en valeur la baisse progressive du temps de travail pour obtenir de meilleures conditions de vie pour les ouvriers. Mais la « paresse » selon Lafargue est un programme assez éclectique : activités artistiques, activités physiques, et activités procurant les plaisirs du quotidien. D’autres penseurs évoquent aussi cette période de loisirs, en particulier Jaurès. La société du futur selon lui est basée sur la justice, sur la satisfaction des besoins, et sur l’épanouissement des individus, et c’est dans ce dernier cadre, que l’importance des vacances et des loisirs est réelle. Dans un article de 1896, il écrit « l’Humanité veut vivre et d’une vie toujours plus large qui accroisse et apaise le désir. [3]»

L’enjeu des congés payés

Une première initiative pour généraliser les congés payés est proposée en 1925 du temps du Cartel des gauches, mais cela échoue, essentiellement en raison du patronat qui n’accepte pas un tel dispositif.

La seconde tentative est la bonne avec les deux semaines de congés payés du Front populaire de 1936, où on doit rappeler le rôle essentiel de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux sports et à l’organisation des loisirs. L’enjeu de la démocratisation est ici essentiel.

Il peut être ici nécessaire de rappeler qu’en 1936, la loi sur les congés payés est votée par 563 pour et 1 voix contre, et au Sénat, seulement 2 voix contre. Cela fait désormais partie intégrante des droits et de la dignité.

L’organisation des loisirs et des vacances scolaires : le rôle de Georges Lapierre

Le terme « organisation » est important car il s’agit non pas d’évoquer les loisirs mais de planifier leur organisation à la fois pour construire les structures nécessaires aux activités de loisirs, mais aussi aider des programmes d’action qui pouvaient venir d’associations. Il faut rappeler le rôle essentiel de la mouvance laïque et du syndicalisme, ainsi que le rôle des enseignants avec la volonté de popularisation des loisirs culturels et leur démocratisation.

On assiste à la naissance d’une nouvelle association, la fédération nationale des œuvres laïques de vacances d’enfants et d’adolescents, qui devient après la Seconde Guerre mondiale la Jeunesse en Plein Air. Cette nouvelle association doit beaucoup à l’action de Georges Lapierre, instituteur responsable syndical[4]. Depuis ses premiers engagements, il a souhaité en effet réfléchir à l’organisation du temps de loisirs et de vacances pour les plus jeunes, en particulier en favorisant la création de colonies de vacances accessibles à tous les enfants. C’est lui qui lance l’idée d’un regroupement d’associations sous l’égide du ministère de l’Éducation et du ministre Jean Zay, afin de favoriser cette organisation des vacances. Soutenue par la CGT, le SNI et la Ligue de l’enseignement, la nouvelle association lance un mouvement de construction des structures pouvant accueillir les enfants dans toute la France. Lapierre est particulièrement soucieux d’offrir aux élèves des activités plutôt que l’oisiveté, sans pour autant sacrifier la période des vacances nécessaire au bon développement des plus jeunes. Cette œuvre pionnière s’est poursuivie après la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui la JPA (Jeunesse en plein Air) est toujours très active. Parallèlement, le mouvement des Auberges de jeunesse se développe, tout comme le camping universitaire, c’est-à-dire, le camping destiné aux métiers de l’éducation avant tout. Tout un ensemble d’associations et d’activités se met en place sous l’œil bienveillant du SNI, le syndicat national des instituteurs et des institutrices.

Cette période fondatrice doit être aujourd’hui rappelée au moment où certains remettent en cause les vacances et les congés payés. Plus encore, la période de vacances n’est pas forcément l’occasion d’activités de loisirs pour les plus jeunes et leurs parents, en raison des difficultés économiques et du manque de volonté de la part de l’Etat. C’est pourquoi, il est souhaitable de faire des vacances un sujet de réflexion pour l’action publique. Agir ainsi, c’est se placer dans la continuité de l’action émancipatrice de quelques précurseurs dont nous avons rappelé ici l’histoire.

Pour aller plus loin

Benoît Kermoal, Jérémie Peltier, Vers la Vie pleine. Réenchanter les vacances au XXIème siècle, Fondation Jean Jaurès, 2023, en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/vers-la-vie-pleine-reenchanter-les-vacances-au-xxie-siecle/

Le site de Jeunesse en plein air https://jpa.asso.fr/

Sur Georges Lapierre : La fabrique d’un héros : Georges Lapierre, syndicaliste et résistant https://centrehenriaigueperse.com/2024/04/07/la-fabrique-dun-heros-georges-lapierre-syndicaliste-et-resistant/

Une émission de France Inter à écouter : « comment garantir le droit aux vacances pour tous ? » https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-vendredi-07-juillet-2023-8852945

Un article sur le site du CHA  » la petite histoire des grandes vacances » https://centrehenriaigueperse.com/2023/07/06/la-petite-histoire-des-grandes-vacances/


[1] Pour une approche globale, voir la synthèse de Marion Fontaine, « Travail et loisirs » dans Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, Histoire des gauches en France, volume 2, Paris, La Découverte, 2005, p.703-722.

[2] Plusieurs éditions existent, on peut conseiller la suivante, qui dispose d’un fort appareil critique, Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, Présentation de Maurice Dommanget et préface de Gilles Candar, Paris, La Découverte, 2009.

[3] Jean Jaurès, « Organisation socialiste : Chapitre V : la production socialiste », La Revue socialiste, n°137, 1896.

[4] Voir sa notice biographique ici https://maitron.fr/spip.php?article115895


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