L’Éducation, qui en France est essentiellement synonyme d’École, a en charge à la fois la formation à des contenus par la transmission de connaissances ainsi que l’acquisition de comportements et de savoirs permettant l’épanouissement, l’émancipation et la capacité de vivre avec les autres en société.
Cette vocation du système scolaire semble se prolonger dans la voie générale du lycée, mais qu’en est-il pour celles et ceux que l’orientation conduit vers une formation professionnelle – parfois plus souvent subie que choisie ?
En France, la formation professionnelle initiale s’acquiert possiblement par deux parcours parallèles et distincts : l’apprentissage et le lycée professionnel.
Entre ces deux types de formation, la différence majeure relève essentiellement du rapport à l’entreprise et la dimension de l’alternance.
Dans le cas des LP (Lycées Professionnels), la priorité est donnée aux enseignements complétés par des temps en entreprises ; alors qu’en apprentissage, la formation est conçue comme une complémentarité de temps et d’apports entre l’entreprise et le CFA (Centre de Formation des Apprentis). Pourtant, tous deux relèvent d’un ensemble nommé « Formation professionnelle initiale » et sont appelés à répondre à une même mission d’éducation et donc de transmission et d’acquisition de valeurs pour les apprenants.
Le travail mené par Gilles Leluc et Denis Adam pour le Centre Henri Aiguerperse dans le cadre de l’agence d’objectifs de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales – IRES – interroge les valeurs professionnelles transmises, tant sur le versant personnel que sur le plan sociétal pour la construction du jeune et de son métier.
Comment faire pour ne pas se limiter au seul apprentissage et à la prédominance des gestes techniques ? Quel travail sur la confiance en soi avec des élèves qui ont souvent connu l’échec au cours de leur scolarité ? Comment les ouvrir au monde, aux autres, à la diversité ? Quelle part de la formation professionnelle vise à développer chez les jeunes la capacité à réfléchir par eux-mêmes, celle d’apprendre à faire preuve d’esprit critique et de découvrir qu’elles et ils en sont capables ? Par quels projets amener les jeunes en formation professionnelle à participer à la vie citoyenne ? A trouver leur place dans la société sans être jugé.es pour la soi-disant faiblesse de leur formation intellectuelle ou discriminé.es parce que le qualificatif « manuel.les » renvoie à leur seule identité de métier ?
Les entretiens avec des personnels des lycées professionnels de l’Éducation nationale et de l’agriculture, ceux des CFA, ainsi que les références à la littérature sur le sujet, montrent les difficultés et les limites de cette transmission de valeurs. Ils mettent également en évidence les réussites et la volonté des professionnels de faire bouger les lignes, afin que la formation professionnelle initiale contribue à la construction d’êtres humains, travailleurs et citoyens.
Plusieurs résultats sont ainsi mis en évidence :
- Une formation qui dépasse les seuls gestes techniques : les lycées (professionnels et agricoles) comme les CFA se dotent d’objectifs pour éviter d’enfermer leurs élèves dans la seule acquisition de gestes techniques et professionnels. Ainsi, le chef d’œuvre qui sanctionne la fin de la formation, s’inscrit dans une référence au compagnonnage riche en valeurs à la fois d’un métier bien fait, mais aussi de solidarité, de travail en équipe, de relais entre maîtres et apprenants.
L’étude relève également que la prise en compte des bouleversements climatiques et des questions écologiques semble être intégrée dans les démarches professionnelles. En revanche, l’usage du numérique semble circonscrit à sa dimension d’outil de formation.
- Une formation qui ouvre à la diversité : la population des LP et d’une majorité de CFA est majoritairement constituée de jeunes issu.es de familles modestes, populaires voire défavorisées. Il apparaît dans les entretiens réalisés pour cette étude, que les organismes de la formation professionnelle initiale envisagent une part de leur mission en faveur de l’ouverture culturelle et une approche positive des diversités.
- Une formation qui interroge le « vivre ensemble » : l’enjeu pour les jeunes est de trouver leur place dans la société et les deux voies de formation initiale mettent en place des éléments pour donner à leur public des clés de compréhension du monde, de mettre en œuvre le débat et l’esprit critique, de faire agir collectivement, au-delà du microcosme social.
- Une formation qui questionne les hiérarchies sociales : ce point révèle un clivage entre LP et CFA que les auteurs expliquent par l’héritage culturel des deux structures de formation. Ils relèvent que les professionnel.les des CFA valorisent les réussites de leurs apprenti.es quels que soient leur formation et leur futur métier. Les enseignant.es des LP ont tendance à regretter leur faible niveau ou du moins leur manque d’appropriation de concepts leur permettant de mener une réflexion plus poussée.
- Une difficulté à traiter les thématiques qui ne font pas consensus, comme la laïcité : les auteurs relèvent, notamment par le biais des entretiens, que des termes qui suscitent des divergences sont, par crainte des réactions du public, écartées des projets pédagogiques par les équipes en faveur de « ceux qui ne fâcheront personne ». Pour eux, s’inspirer de l’organisation pédagogique des lycées professionnels agricoles qui combine temps pédagogiques spécifiques et personnel spécialisé pourrait être source d’inspiration pour les lycées professionnels.
Bien que touchant l’ensemble du champ de l’enseignement professionnel, le nombre d’entretiens réalisés pour cette étude est trop restreint pour être représentatif de la totalité des situations de transmission des valeurs dans le cadre de la formation professionnelle initiale. Néanmoins, la diversité du panel est à souligner : un directeur de CFA consulaire interprofessionnel, une présidente d’un CFA régional du bâtiment, un Directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT) d’un lycée professionnel public, un inspecteur de l’enseignement professionnel dans le domaine des sciences de gestion, un professeur d’économie et une professeure d’animation socioculturelle de lycée professionnel agricole, un enseignant lettres-histoire de lycée professionnel. De plus, ces personnes appartiennent à différentes régions : Nord, Bourgogne, Auvergne Rhône-Alpes, Île-de-France, et interviennent sur des territoires tantôt urbains (Grenoble, Paris, Lille), tantôt ruraux périurbains (Chalon-sur-Saône, Voiron).
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