Le mercredi 7 janvier 2015, deux hommes armés assassinent dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo 11 personnes. Plusieurs autres sont également grièvement blessées. Les deux djihadistes sont retrouvés le jour suivant et tués lors d’un assaut de la police. Au même moment, un de leurs complices tue une policière municipale et le lendemain, il récidive en tuant 4 autres personnes dans une supérette de produits casher avant d’être abattu par les policiers. Ces attentats sont revendiqués à la fois par Al-Qaïda et Daesh. Ils marquent considérablement la société française en ce début de l’année 2015. Dès le mercredi soir, un rassemblement en hommage aux membres de Charlie Hebdo a lieu place de la République, puis le week-end suivant des manifestations massives ont lieu à Paris et dans tout le pays rassemblant plusieurs millions de personnes. Beaucoup arborent le slogan « #JeSuisCharlie » signe de ralliement des défenseurs de la liberté d’expression face à l’extrémisme islamiste radical. Ces attentats sont suivis par les attaques du 13 novembre 2015, puis en octobre 2020 par l’assassinat de Samuel Paty, puis de Dominique Bernard trois ans plus tard, en octobre 2023.
10 ans après les attentats de janvier 2015, de nombreuses initiatives mémorielles vont avoir lieu durant tout ce mois de janvier. Charlie Hebdo sort un numéro spécial, tout comme de nombreux autres journaux.
L’École et les mondes scolaires sont particulièrement concernés par ces événements : les élèves et les personnels sont marqués par ces attentats et on demande souvent beaucoup à l’institution scolaire afin d’expliquer, de commémorer, et d’éduquer contre le fanatisme et pour défendre la laïcité. On a d’ailleurs souvent tendance à lui reprocher de ne pas remplir son rôle et même d’avoir insuffisamment combattu l’islamisme radical. Les atteintes à la laïcité, la montée de l’antisémitisme et du sexisme sont réelles mais cela devient l’élément déclencheur d’une remise en cause généralisée de l’École qui serait sur le déclin pour de multiples raisons. C’est pourquoi il est utile de revenir sur le travail de l’historien Emmanuel Saint-Fuscien qui après les attentats de 2015 a mené une enquête sur leur impact sur les mondes scolaires. Son ouvrage permet aujourd’hui, à partir d’un essai d’histoire du temps présent, de mieux comprendre les enjeux actuels.
L’école sous le feu
Emmanuel Saint-Fuscien, spécialiste du fait guerrier et de l’histoire de l’école, a consacré une remarquable étude aux conséquences des attentats de 2015 sur l’institution scolaire. Plus précisément, son point de départ est le suivant : « mais que s’est-il passé, justement, dans les salles de classe aux lendemains des attentats des 7, 8 et 9 janvier et de ceux du 13 novembre ; que s’est-il passé, alors que l’institution était bouleversée par des événements considérés par les acteurs sociaux eux-mêmes comme relevant de la violence de guerre ?[1] » p.11
Il se livre alors à une analyse d’histoire immédiate sur le temps long en utilisant de nombreux témoignages de personnels et d’élèves. Il a également interrogé plusieurs hauts responsables du ministère de l’éducation. Il montre en particulier, qu’en dépit des discours ambiants sur les insuffisances de l’école, celle-ci a montré sa détermination à faire face à ces événements traumatiques. Loin des raccourcis et des généralisations passéistes, il suit les réactions et les actions des personnels qui bien souvent ont dû faire face aux interrogations et aux émotions des élèves. La première partie du livre est particulièrement consacrée aux attentats de janvier 2015 et l’auteur se focalise sur la signification des moments de recueillement qui ont suivi les attentats.
Une minute de silence a lieu le 8 janvier, mais celle-ci est perturbée dans plusieurs établissements. Plusieurs médias ou essayistes se font l’écho de ces entorses au deuil national. Quelques jours après les attentats, beaucoup de journaux reviennent sur les incidents liés aux minutes de silence dans les établissements scolaires. L’école devient ainsi une cible pour ne pas avoir réussi à faire preuve de son efficacité à relayer l’émoi national et cela exprimerait pour beaucoup le délitement du sentiment d’appartenance nationale. Cela entraîne même une commission d’enquête du Sénat qui travaille durant 6 mois. Dans le rapport final, on met en évidence un déclin de l’institution qui ne remplirait plus son rôle : les perturbations des minutes de silence sont vues comme un continuum vers la radicalisation, en dépit du manque de chiffres précis sur les perturbations aux minutes de silence et des propos de plusieurs spécialistes qui montrent que l’institution a très majoritairement fait face à la situation. Cette très intéressante analyse se poursuit en intégrant les attentats de novembre 2015 où c’est la jeunesse qui fut la cible des islamistes radicaux.
L’intérêt de ce livre est de montrer « au ras du sol » les réactions dans les mondes scolaires face aux événements de 2015, de montrer aussi que l’institution a su faire face en s’inscrivant dans sa mission éducatrice et de formation à la citoyenneté, en dépit des difficultés. C’est pourquoi il faut lire cette enquête très bien renseignée.
Toujours Charlie
Plusieurs rescapés des attentats ont également raconté leur expérience : c’est plus particulièrement le cas de Philippe Lançon qui dans Le Lambeau a fait le récit de son retour à la vie après avoir été très grièvement blessé. On peut aussi signaler l’ouvrage de Luz, dessinateur de Charlie rescapé car arrivé en retard à la réunion du comité de rédaction, qui s’intitule Catharsis. Comme l’a écrit quelques années après les attentats, Philippe Lançon, il est important de rester toujours Charlie : « Charlie continue de vouloir rire ou sourire de tout dans un monde où plein de gens, surtout à gauche, ne veulent plus rire de rien, et surtout pas d’eux-mêmes ».
Pour aller plus loin :
Emmanuel Saint-Fuscien, l’école sous le feu. Janvier et novembre 2015. Essai d’histoire du temps présent, Passé composés, 2022
Philippe Lançon, Le Lambeau, Folio, 2020
Luz, Catharsis, Futuropolis, 2015
La fondation Jean Jaurès organise une rencontre -débat le 8 janvier, tous les renseignements ici https://www.jean-jaures.org/agenda/charlie-10-ans-apres-aimons-nous-encore-la-liberte-dexpression/
Un colloque international est organisé à l’EHESS, 10 ans après l’attentat de l’Hyper Casher : https://www.campus-condorcet.fr/fr/agenda/lantisemitisme-aujourdhui-en-france-au-prisme-des-sciences-sociales-un-diagnostic
Quelques articles précédents du Centre Henri Aigueperse :
Les jeunes et la radicalisation : comment l’école peut agir ? https://centrehenriaigueperse.com/2024/11/08/les-jeunes-et-la-radicalisation-comment-lecole-peut-agir/
Faire face à l’antisémitisme https://centrehenriaigueperse.com/2024/10/07/faire-face-a-lantisemitisme/
[1] Emmanuel Saint-Fuscien, l’école sous le feu. Janvier et novembre 2015. Essai d’histoire du temps présent, Passé composés, 2022, p.11.
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