Une école ouverte sur le monde pour mieux protéger l’environnement ?

Ce 5 juin a été comme tous les ans depuis les années 1970  la journée mondiale de l’environnement. Pour autant, on assiste aujourd’hui en France à un climat de « backlash écologique » concernant la protection de l’environnement et le changement climatique. En dépit de ce contexte, il faut rappeler que depuis l’adoption en 2004 de la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, l’éducation à l’environnement est inscrite dans les programmes éducatifs. Il existe beaucoup d’initiatives dans ce domaine, et c’est heureux, tant notre avenir est lié à ce sujet.

Dans de nombreux cas, les programmes se basent sur l’étude du milieu local et de l’environnement proche pour mieux saisir les dangers qui menacent aujourd’hui notre monde. Une telle approche n’est pas nouvelle : l’étude du milieu, qui est pratiquée depuis la fin du XIXème siècle sous ce nom ou d’autres vocables, a souvent été considérée comme le meilleur moyen pour les élèves de mieux connaître le monde environnant et pour donner du sens aux savoirs scolaires qu’ils se sont évertués à maîtriser. Cette actualité nous permet donc de revenir sur l’histoire de l’enseignement du milieu de vie à l’école.

Ancrer son histoire et son territoire dans l’environnement : qu’est-ce que l’étude du milieu ?

L’approche pédagogique par l’étude du milieu proche a une longue histoire. Elle mobilise encore aujourd’hui l’enseignement de la géographie, de l’histoire, ou encore des sciences de la vie et de la terre[1]. On la retrouve également aujourd’hui dans l’enseignement agricole. Mais le nom qui lui est donné a souvent évolué : pour rendre l’école plus vivante, avant la Seconde Guerre mondiale, on parle par exemple de « classe promenade » pour découvrir son environnement proche ou de « leçon de choses ». Après 1945, c’est l’expression « étude du milieu » qui est popularisée, puis la réforme de l’« éveil » après 1968 fait son entrée dans les programmes scolaires. Ces fréquents changements d’appellations montrent que ce n’est pas un dispositif didactique qui va de soi. Mobilisant plusieurs disciplines, obligeant souvent à un travail de groupe plus qu’individuel, l’étude du milieu fut cependant perçue dès la naissance de l’école primaire obligatoire comme indispensable pour donner du sens aux savoirs que tous les élèves devaient acquérir.

Un savoir pour rendre l’école plus vivante aux futurs citoyens

Dès les lois Ferry qui rendent obligatoire et gratuite l’école primaire en France au début des années 1880, l’étude du milieu local est un passage obligé de la scolarité. C’est même pour les premiers instituteurs et les premières institutrices un moyen de mieux connaître leurs élèves. En effet, formé.es par les écoles normales nouvellement mises en place, ces enseignant.es doivent exercer pour une grande majorité dans un milieu rural qu’ils et elles connaissent mal. Il faut donc partir du vécu des élèves pour pouvoir enseigner au mieux. C’est ce qu’a montré l’étude de l’historien Jean-François Chanet sur l’école républicaine et les petites patries[2]. Il faut que les enseignant.es partent du milieu de vie des élèves et de leurs parents afin de mieux mettre en pratique leur métier. C’est ce que révèle également Mona Ozouf dans son témoignage à succès, Composition française[3] en racontant le quotidien de ses parents, instituteurs en Bretagne.

Cette préoccupation concerne aussi bien les autorités scolaires que les pédagogues et les intellectuels. Ainsi, l’inspecteur d’académie Edmond Blanguernon publie avant la Première Guerre mondiale, l’ouvrage Pour l’école vivante qui résume l’importance que l’on donne à l’étude du milieu[4]. Il relate en particulier les expériences de « classe promenade » qui consiste à passer de l’observation du milieu à des explications savantes, ou encore l’utilisation de l’expérience des élèves pour mobiliser les connaissances apprises. La curiosité et la nécessité d’une école vivante sont pour lui les clés de la réussite pour un bon enseignement.

La parution de ce livre est aussi l’occasion pour Jean Jaurès[5] de revenir sur sa conception de l’école, qui s’inscrit dans une logique similaire et qui a un grand écho auprès des enseignant.es d’avant 1914[6].

Depuis 1905, Jaurès collabore à la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, une publication d’instituteurs publiée à 20 000 exemplaires toutes les semaines[7]. Crée en 1890, elle est la voix des instituteurs qui se sont réunis en amicales et qui tentent à ce moment-là de se constituer en organisation syndicale, malgré les restrictions législatives. Elle est surtout marquée par l’idéologie socialiste, tout en étant une revue professionnelle dotée d’une copieuse partie pédagogique et corporative. La rubrique pédagogique substantielle faisait le point sur les avancées dans ce domaine et suggérait des mises en pratique pour les classes, en insistant sur l’étude du milieu proche. On y trouvait également une part de réflexion politique et sociale écrite par des penseurs. Jaurès côtoyait ainsi, dans les pages de la revue, ses camarades Marcel Sembat et Albert Thomas ou encore l’ethnologue Marcel Mauss.

Le but de l’école pour le leader socialiste est de former des citoyens ; les instituteurs ne peuvent donc ignorer les conditions sociales de l’ensemble des Français.es. Plus encore, il faut que leur effort d’éducation soit porté par une philosophie politique globale. L’école pour Jaurès est le lieu d’une nécessaire émancipation des plus jeunes par l’apprentissage de savoirs indispensables pour la suite de l’existence humaine. Mais une fois cet apprentissage effectué, l’œuvre d’émancipation ne s’arrête pas : l’élève devenu citoyen doit disposer d’autres outils pour s’opposer aux inégalités du monde et pour agir. Dès lors, se pose pour Jaurès le problème des liens entre le contenu des matières enseignées et la vie quotidienne des élèves : l’enseignement doit-il rester dans un cadre de raisonnement théorique sans réelle attache avec le vécu des élèves ? Jaurès choisit sans nuance son camp : il importe, selon lui, d’ancrer au maximum l’enseignement des plus jeunes dans le présent, cette « âpre réalité » qu’il évoque dans le même article. L’école ne doit pas être une citadelle des savoirs isolée. Ainsi, l’élève y apprendra-til la vie réelle, ses bienfaits, mais également ses injustices et ses inégalités.

D’autres pédagogues progressistes comme Albert Thierry ou plus tard Célestin Freinet insisterons eux aussi sur l’importance de l’étude du milieu pour donner davantage de sens aux savoirs scolaires.

Une approche davantage ancrée dans les avancées de la pédagogie et dans l’expérience

À partir des années 1930 et jusqu’aux années 1960, l’étude du milieu est présente aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Cela passe par des leçons de choses, mais aussi par une pédagogie active en groupes. L’École Libératrice, le journal du SNI, Syndicat national des instituteurs, contient une riche rubrique pédagogique où les études de cas pour mieux connaître le milieu proche sont très nombreuses. Les liens entre la pédagogique et les sciences sont aussi plus approfondis. Ainsi, la pratique historique connaît de très importants bouleversements grâce à la revue des Annales d’histoire économique et sociale, lancée en 1929 et dirigée par Marc Bloch et Lucien Febvre. Tous deux se sont penchés sur l’étude du milieu, du point de vue historique, mais aussi en incluant toutes les autres sciences comme la géographie, la géologie ou encore l’économie[8]. Les deux grands historiens sont également soucieux de pédagogie et ils ont coopéré avec des instituteurs et des professeurs d’écoles normales pour développer des études du milieu dans le monde scolaire.

L’arrivée du Front populaire permet le développement d’expériences alliant éducation nationale et éducation populaire. Ainsi, Jean Zay, le ministre de l’Éducation est à l’origine de la réduction des tarifs d’entrée pour ouvrir au plus grand nombre musées et théâtres, et il favorise également la naissance d’un réseau de bibliothèques et de la lecture publique.

De l’éveil aux territoires apprenants

Depuis les années 1960, les leçons de choses deviennent davantage des études du milieu, où l’éveil joue un grand rôle. Les travaux de pédagogie active sont associés à des pratiques de groupes interdisciplinaires. Cette mise en pratique a souvent des contours flous, ce qui en fragilise l’enseignement. La mise en place des travaux pratiques encadrés (TPE) au lycée à partir de 2000 s’inscrit dans une telle histoire et une telle démarche pédagogique, tout comme la réforme du collège en 2016. Mais ces deux dernières expériences, qui sont abandonnées ou atténuées, montrent toutes les difficultés à mettre en place un enseignement du milieu proche, qui allie curiosité et savoirs interdisciplinaires. Une meilleure connaissance de notre environnement, aujourd’hui menacé, peut paradoxalement être un atout pour un véritable enseignement de notre milieu proche, qu’il faut défendre et améliorer.  Plus largement, on peut espérer que le concept de « territoire apprenant », de plus en plus présent dans le monde éducatif actuel, puisse aider à construire un enseignement de l’étude du milieu à la fois plus durable et plus émancipateur pour toutes et tous. Dans ce cadre, les expériences d’« école dehors » reprennent en les modernisant des objectifs datant des XIXe et XXe siècles.

Pour aller plus loin :

Pierre Cornu, Stéphane Frioux, Anaël Marrec, Charles-François Mathis, Antonin Plarier, Les natures de la République. Une histoire environnementale de la France 1870-1940 (vol.2).

Sur les classes dehors, ce podcast https://ife.ens-lyon.fr/kadekol/hors-series/ecole-dehors

Un nouveau guide de l’ADEME à destination des jeunes « Comment agir pour ma planète ? » https://librairie.ademe.fr/changement-climatique/8190-9954-comment-agir-pour-ma-planete–9791029725036.html#product-presentation


[1] Voir pour le contexte historique globale, cette récente synthèse : Pierre Cornu, Stéphane Frioux, Anaël Marrec, Charles-François Mathis, Antonin Plarier, Les natures de la République. Une histoire environnementale de la France 1870-1940 (vol.2).

[2] Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996.

[3] Mona Ozouf, Composition française, Paris, Gallimard, 2009.

[4] Edmond Blanguernon, Pour l’école vivante, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1913 .

[5] Jean Jaurès, « L’école et la vie » in De l’éducation, édition établie par Catherine Moulin, Madeleine Rebérioux, Gilles Candar, Guy Dreux et Christian Laval, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2012.

[6] Voir à ce sujet, Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, Paris, Gallimard-Seuil,1992.

[7] Laurence Ruimy, Recherches sur la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur 1890-1914, Cahiers du centre fédéral FEN-UNSA, 1995.

[8] André Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.


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