La longue histoire du Bac

Cette semaine se déroulent les épreuves finales du bac. Grandement modifié depuis 2018, cette épreuve demeure un rite de passage pour une grande partie de la jeunesse. Interrogé sur sa pertinence à l’heure de Parcoursup et d’une orientation de plus en plus tôt dans le parcours des lycéennes et lycéens, le bac a connu de nombreuses évolutions dans l’histoire.

« Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système actuel : celui de bachotage. » Ainsi s’exprime le grand historien et résistant Marc Bloch dans un texte de 1943 intitulé « Sur la réforme de l’enseignement »[1] et dans lequel il envisage une nouvelle éducation dans la France libérée qu’il souhaite plus que tout, au péril de sa vie. Il précise que le bachotage, autrement dit le travail de préparation que l’on doit mener pour l’obtention du baccalauréat, structure l’ensemble du modèle scolaire français : « Hantise de l’examen et du classement. Pis encore : ce qui devait être simplement un réactif, destiné à éprouver la valeur de l’éducation, devient une fin en soi, vers laquelle s’oriente, dorénavant, l’éducation tout entière. » Ce constat sévère se termine sur une question qui peut être encore posée aujourd’hui : « Qui croit encore au baccalauréat, à la valeur de choix, à l’efficacité intellectuelle de cette aléatoire forcerie ? »

En effet, vieux de plus de 200 ans, « monument » du système éducatif, et mythe indéboulonnable qui clôt la scolarité au lycée, le bac en France a toujours fait l’objet de critiques et de volontés de réforme depuis sa naissance en 1808[2]. Réservé durant plusieurs décennies à une petite élite, ce diplôme est devenu au cours du XXème siècle le sésame pour une promotion sociale méritée et un accès plus démocratique aux études supérieures

Un diplôme longtemps réservé aux élites

Lors de sa création en 1808, le baccalauréat est conçu comme le premier grade de l’enseignement supérieur. Ses origines sont plus anciennes puisque le bac apparaît au sein des universités médiévales, mais Napoléon dans son désir de refondation du système éducatif après la Révolution française, lui donne une nouvelle importance : il s’agit de former les élites pour la future direction du pays. La première promotion est cependant d’un tout petit nombre puisqu’il n’y a en 1809 que 31 bacheliers. Rapidement, l’examen est modifié tout en gardant des constantes : l’examen est oral et porte sur la totalité de ce qui est enseigné dans les « hautes classes du lycée ». Il dure une demi-heure, trois quarts d’heure au plus et est évalué par des universitaires. C’est avant tout un baccalauréat de lettres (avec la rhétorique et la philosophie) qu’il faut passer et qui permet ensuite de passer un baccalauréat en sciences. Rapidement, il devient la condition requise pour accéder aux hautes fonctions publiques et durant tout le XIXème siècle on assiste à une augmentation régulière du nombre de lauréats. Mais en 1890, on ne compte encore que 7000 nouveaux bacheliers.

Les modalités de l’examen sont régulièrement réformées : en 1830 apparaît une épreuve écrite complémentaire aux oraux ; de nouvelles matières, comme l’histoire, sont intégrées dans les questions. L’évaluation elle-même connaît des transformations. Pendant de longues années, les évaluateurs procèdent par des boules de couleur pour afficher leur appréciation : une boule rouge est synonyme d’obtention de l’examen, une blanche montre l’abstention du jury et une boule noire signifie un avis défavorable. On compte à la fin de l’épreuve le nombre de boules de couleur obtenues, car au fil du temps, chaque discipline se voit attribuer un certain nombre de suffrages, ce qui est la première version des coefficients que l’on connaît aujourd’hui dans le bac actuel. Ce n’est qu’en 1890 qu’une notation sur 20 est adoptée. Parallèlement, lors de l’examen, on tient compte du livret scolaire du candidat pour éviter les injustes accidents liés au stress et à la pression le jour J.

Dès les premières années, le « bachot » est l’objet de critiques : les tricheries sont nombreuses, il ne s’agit souvent que d’apprendre par cœur des fiches toutes faites ; surtout on s’interroge sur les finalités de cet examen qui s’il se révèle indispensable pour certaines professions, n’en demeure pas moins la marque d’une discrimination sociale. Les écrivains Flaubert, Verlaine ou encore Jules Vallès ont laissé dans leur œuvre de nombreux témoignages de critiques de ce système trop formalisé. En outre, pour passer l’examen, il y a un droit d’inscription : il faut payer 80 francs, alors que le salaire moyen d’un ouvrier est à l’époque de 2 francs par jour. Un commerce voit le jour : celui des manuels de préparation qui deviennent des best-sellers de l’époque. On dit même que des candidats professionnels sillonnent la France pour passer les épreuves à la place de certains candidats qui payent la doublure pour ne pas avoir à bachoter ! La défaite de 1870 oblige à s’interroger sur ce diplôme qui n’a pas su former les élites dont le pays avait besoin. L’instauration de la République va entraîner de nombreuses modifications du baccalauréat : plus adapté au temps de l’époque, plus démocratique, le bac devient dans les premières années du XXème siècle un diplôme qui retrouve son but initial – former des jeunes gens aux métiers dont la France a besoin – tout en élargissant sa base de vivier de candidats mais aussi de candidates ! En effet, si Julie Victor Daubié fut la première femme à obtenir ce diplôme en 1861, il faut attendre 1924 pour que filles et garçons aient un programme commun d’épreuve et que les jeunes femmes puissent enfin passer elles-aussi leur bac sans que cela soit l’exception.

Un bac réformé pour une système éducatif plus démocratique

La IIIe République jette les bases d’un système éducatif démocratique en instituant par les lois Ferry la gratuité de l’enseignement primaire, l’obligation scolaire et l’enseignement laïque. Par contre-coup, même si le modèle scolaire français est très hiérarchisé encore, le bac connaît des réformes importantes : on créé ainsi un bac moderne sans latin, on permet aux femmes de passer cet examen, et la culture générale sanctionnée par ce diplôme est davantage en adéquation avec l’air du temps. Conséquence : le nombre de candidat.es augmente plus rapidement, de 7 000 en 1890, on passe à 37 000 en 1926. Si le nombre de bacheliers et de bachelières augmente durant cette période, ce diplôme reste la marque de l’élitisme social et scolaire que le régime peine à corriger. Les classes populaires n’ont pas encore accès à l’enseignement secondaire, hormis de façon exceptionnelle, et en conséquence le baccalauréat ne concerne qu’une minorité des Français. Le Front populaire, par l’intermédiaire de son ministre de l’éducation Jean Zay, a initié une réforme générale de l’enseignement destiné à supprimer les inégalités scolaires[3]. Le but était de créer une unification du système scolaire, entre le primaire et le secondaire, afin de permettre à davantage d’élèves d’accéder aux études supérieures. Cela de fait modifiait la place et la fonction du baccalauréat, mais cette réforme suscita beaucoup de résistances, de tous les côtés. Ainsi, les instituteurs, qui ne devaient pas avoir le bac pour exercer ce métier, furent réticents aux changements proposés qui imposaient l’obtention du bac pour se destiner à cette carrière. Mais ce sont surtout les plus conservateurs qui paralysèrent la volonté réformatrice de Jean Zay, la guerre de 1940 arrêtant net ce projet de réforme. Le texte de Marc Bloch, cité en début d’article, s’inscrit dans le sillon creusé par le ministre de l’éducation nationale du Front populaire. Pour lui, le sacro-saint bac empêche toute volonté émancipatrice que l’on doit pourtant donner à l’éducation : cela entraîne « la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves ; la négation de toute libre curiosité ; le culte du succès substitué au goût de la connaissance ; une sorte de tremblement perpétuel et de hargne, là où devrait au contraire régner la libre joie d’entreprendre. [4]» S’il n’est pas certain que la période d’après 1945 ait permis de libérer la curiosité et le goût de la connaissance, les réformes suivantes ont eu au moins le mérite de rendre cet examen plus démocratique.

Un rôle toujours fondateur mais des modalités à redéfinir

À partir de 1945, on assiste à une augmentation très rapide du nombre de bachelières et de bacheliers[5]. Après les événements de mai 68, on passe à plus de 200 000 lauréat.es par an, de nos jours ce sont quelques 640 000 candidat.es qui passent leur bac. On le voit donc : cet examen, créé au départ pour former une élite restreinte, est devenu accessible à beaucoup plus de monde. C’est le premier pas vers l’ascenseur social et il permet l’obtention d’un emploi pour beaucoup. Cette démocratisation est accélérée ensuite. De l’avènement du collège unique en 1975 permis par la loi Haby à l’objectif d’accès au bac de 80 %d’une classe d’âge formulé par Jean-Pierre Chevènement, elle est réelle et a permis à beaucoup de jeunes garçons et de jeunes filles de faire des études supérieures et de profiter d’une mobilité sociale signe d’émancipation et de progrès. Plusieurs réformes sont mises en place à nouveau à la fin du XXème siècle : instauration du bac professionnel, réduction des séries dans l’enseignement général, introduction d’une part de contrôle continu, etc. L’histoire du bac montre que ce diplôme a évolué au fil du temps, en fonction des aléas politiques d’une part, mais aussi des attendus de la scolarisation d’autre part. Si la démocratisation du bac est une véritable réussite, il reste cependant plusieurs interrogations : la plus visible concerne son adéquation avec l’enseignement supérieur. Conçu dès son origine comme un diplôme universitaire, le baccalauréat aujourd’hui semble moins perçu comme tel. Il importe en conséquence de bien dessiner les contours des liens entre cet examen et l’accès aux études supérieures. Surtout, il semble également nécessaire de s’interroger sur les attendus de ce diplôme dans notre système éducatif actuel : là encore la pensée de Marc Bloch peut se révéler un utile guide. Pour lui, la refonte de l’enseignement et du baccalauréat obligeait à regarder vers l’avenir, tout en s’inscrivant dans une tradition française d’émancipation par l’école et la culture : « La tradition française, incorporée dans un long destin pédagogique, nous est chère. Nous entendons en conserver les biens les plus précieux : son goût de l’humain ; son respect de la spontanéité spirituelle et de la liberté ; la continuité des formes d’art et de pensée qui sont le climat même de notre esprit. Mais nous savons que, pour lui être vraiment fidèles, elle nous commande elle-même de la prolonger vers l’avenir. [6]» Vaste programme certes, mais ô combien exaltant pour tous les professionnels de l’éducation pour le présent et pour l’avenir.


[1] Marc Bloch « Sur la réforme de l’enseignement » initialement publié dans une revue de la Résistance. Ce texte est repris dans son livre L’Étrange défaite, publié à titre posthume en 1946 et régulièrement réédité depuis. Marc Bloch, historien médiéviste, a profondément renouvelé la pratique de l’histoire en particulier au sein de la revue Les Annales qu’il a fondé avec Lucien Febvre. Résistant, il est fusillé en 1944 par les Allemands. Les citations qui suivent proviennent de ce texte.

[2] Sur l’histoire du baccalauréat, voir Louis-Henri Paris (dir.) Histoire Générale de l’enseignement et de l’éducation en France, 4 volumes, Paris, Perrin, collection « Tempus », 2004. Le tome 3, dirigée par Françoise Mayeur portant sur les années 1789-1930 et le tome 4, dirigé par Antoine Prost portant sur la période allant de 1930 à nos jours, sont les 2 tomes essentiels sur l’histoire du bac. On peut aussi consulter le livre de Claude lelièvre, Histoire des Institutions scolaires (1789-1989), Paris, Nathan, 1990. Enfin, pour une approche plus rapide et synthétique, on consultera le très bon article de Jean-François Chanet , « Baccalauréat » dans Jean-François Sirinelli (dir.)  Dictionnaire de l’histoire de France, tome 1, A-J, Paris, Armand Colin, 1999, p. 126.

[3] Benoît Kermoal, « Le Front populaire et l’école », note de la Fondation Jean-Jaurès, septembre 2016, en ligne, https://jean-jaures.org/nos-productions/le-front-populaire-et-l-ecole

[4] Marc Bloch, op.cit.

[5] Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, Seuil, 2013.

[6] Marc Bloch, op.cit.


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