Tout·e professionnel·le de l’enseignement et d’éducation formule en amont de sa réflexion pédagogique des objectif d’apprentissage. En formation initiale, des conseils sont prodigués quant à la formulation adéquate des objectifs de tout niveau et des listes de verbes d’actions sont parfois transmises pour faciliter leur formulation. L’exercice semble scolaire et ces listes proposées souvent sans fondement théorique. Pourtant, la taxonomie de Bloom est un outil de référence auprès des ingénieurs pédagogiques de la formation professionnelle. Approfondissons ensemble son intérêt et ses limites, de sa création jusqu’au bouleversement des activités d’apprentissages que provoque l’IA générative.
Naissance d’une classification des comportements d’apprentissage
La taxonomie de Bloom est un modèle pédagogique développé en 1956 par Benjamin Bloom, psychologue scolaire spécialisé en pédagogie et par ses collaborateurs de l’université de Chicago. Le professeur, chercheur et examinateur en éducation ,de par ses fonctions de membre du conseil d’examen de l’université de Chicago, évaluait la pertinence des examens administrés aux étudiantes et étudiants. Ainsi, un groupe de recherche qu’il dirigeait a identifié au bout de 8 années, les comportements intellectuels qui facilitent l’apprentissage et favorisent la maîtrise des concepts.
Ce répertoire d’actions qui peut aussi être considéré comme la taxonomie des objectifs du processus d’apprentissage est divisé en 3 domaines facilitant une vision plus globale de l’apprenant : le cognitif, affectif et le psychomoteur.
Bloom et ses collègues n’ont pas créé de sous-catégories pour les compétences dans le domaine psychomoteur (manipulation ou habilités physiques) ou affectif (attitudes et émotions générées par les apprentissages) mais depuis lors, d’autres éducateurs ont créé leurs propres taxonomies.1
La taxonomie de Bloom dans le domaine cognitif
Comme d’autres taxonomies, celle de Bloom est hiérarchique. Elle ordonne les objectifs d’apprentissage cognitifs allant des plus simples aux plus complexes. Elle conçoit les apprentissages aux niveaux supérieurs comme étant dépendants de l’acquisition des connaissances et compétences préalables aux niveaux inférieurs : de la simple restitution de faits jusqu’à la manipulation complexe des concepts, depuis ce qui est facile à connaître,vers des constructions mentales plus élaborées. Les 6 niveaux de la taxonomie dans le domaine cognitif sont :
1. La connaissance
2. La compréhension
3. L’application
4. L’analyse
5. La synthèse
6. L’évaluation
La taxonomie de Bloom répertorie ainsi des dizaines de verbe, tous réalisables et mesurables, qui permettent de nommer avec précisions des gestes et attitudes. Elle permet ainsi de faciliter l’évaluation des apprenants. Leur variété permet aux concepteurs de formations initiales ou continues de qualifier avec finesse les actions et donc de rédiger des objectifs univoques.
La représentation la plus connue de la taxonomie de Bloom est une roue ou fleur. Elle met moins l’accent sur ce rôle hiérarchique des domaines et met en regard les verbes d’action avec des activités types. Mais de multiples reprises de l’ouvrage de Bloom2 sous forme d’infographies, tableaux ou listes sont disponibles3.
Critiques et révision de la taxonomie en 2001
Les critiques de la taxonomie de Bloom ont porté, pas tant sur l’existence des six catégories, mais sur la réalité d’un lien hiérarchique entre elles. Certains considèrent les trois niveaux les plus bas (connaissance, compréhension, application) comme étant ordonnés, mais les trois niveaux supérieurs (analyse, évaluation et synthèse) comme égaux. D’autres proposent de démarrer par une phase d’application, avant l’introduction des nouveaux concepts.
Une version révisée de la taxonomie, moins souvent citée, a été publiée en 2001 par Lorin W. Anderson et David R. Krathwohl sous le titre « Taxonomie pour l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation »4.
Anderson était professeur des universités en mesure, évaluation et analyse statistique et a travaillé plusieurs années avec Benjamin Bloom. Krathwohl quant à lui est co-auteur de la taxonomie originelle.
Leur révision a été conçue pour être plus utile aux éducateurs et répondre plus efficacement à la modernisation des écoles et à des modes d’apprentissage en facilitant la création d’objectifs pédagogiques encore plus précis et axés sur la performance.
Trois catégories ont été renommées en actions avec des verbes : “ Connaissance “ est devenu “ Se rappeler “, “ Compréhension “ est devenu “ Comprendre “, et “ Synthèse “ est devenu “ Créer “. Ce dernier niveau, la création (anciennement la synthèse) devient l’objectif principal de tout le processus d’apprentissage et a été placé à un niveau supérieur à celui de l’évaluation.
Diffusion et application du modèle
Le document a rapidement connu un succès prodigieux et s’est répandu à travers le monde. La taxonomie a permis aux enseignants de créer des stratégies d’apprentissage plus complexes allant au-delà de la mémorisation. Elle a aussi permis de systématiser, de rationaliser et d’évaluer des actions trop longtemps laissées à la sensibilité, à l’intuition ou au bon sens.
Aux États-Unis, la taxonomie de Bloom a été largement adoptée dans les écoles primaires et secondaires (K-12). En France, par exemple, elle a été utilisée pour structurer les programmes scolaires et définir les niveaux d’acquisition des compétences et les 4 premiers niveaux ont notamment inspiré la structuration de plusieurs référentiels de compétences.
Un modèle toujours inspirant, structurant des démarches d’apprentissages même à l’ère des IA génératives
Que l’on conçoive ses séquences d’apprentissage essentiellement selon une méthode active ou non, que l’on choisisse des techniques transmissives ou de modèles type classes inversées, situations-problème, en formation initiale ou continue, présentielle, à distance ou hybride, la taxonomie de Bloom reste un point d’appui solide pour tout enseignant, formateur ou éducateur.
Il faut admettre que les niveaux de l’analyse, de l’évaluation et de la création semblent bousculés par l’arrivée des intelligences artificielles génératives. Le Collimateur, site de veille pédagogique et pédagonumérique en enseignement supérieur de l’Université du Québec à Montréal propose une infographie qui peut servir de guide pour mieux comprendre où et comment les étudiant·es pourraient être tenté·es d’utiliser ces outils.
Que les enseignant·es choisissent d’encourager, de limiter ou de proscrire l’utilisation de l’IA, les recommandations pour encourager une utilisation réfléchie et stratégique de l’IA en éducation sont pertinentes et ont le mérite de d’amorcer une réflexion nécessaire autour de l’accompagnement à l’usage des intelligences artificielles..
La taxonomie de Bloom revisitée à l’ère de l’IA par Munn, Y. (2023). La taxonomie de Bloom revisitée pour un apprentissage significatif à l’ère de l’IA, Le Carrefour UQAM (enseigner.uqam.ca), adaptée de Bloom’s Taxonomy Revisited par Oregon State University, CC BY 4.0
1La taxonomie des compétences psychomotrices de Dave (1970), de Simpson (1972) ou de Harrow (1972). Dans le domaine affectif , la seule taxonomie qui semble s’être imposée est celle de KRATHWOHL.
2B. Bloom et al. Taxonomy of Educational Objectives, 1956, trad. : Taxonomie des objectifs pédagogiques, vol. 1 : Domaine cognitif, Presses de l’Université du Québec, 1975.
3Par exemple Taxonomies d’objectifs d’apprentissage et exemples de verbes d’action dans les 3 domaines (cognitif, affectif et psychomoteur) du pôle de soutien à l’enseignement et l’apprentissage de l’université de Genève
4Anderson, LW (éd.) et Krathwohl, DR (éd.) (2001). Une taxonomie pour l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation : une révision de la taxonomie des objectifs éducatifs de Bloom. New York : Longman
Présentation de la taxonomie de Bloom en forme de rose: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Blooms_rose_fr.svg
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