Se souvenir afin de mieux combattre

La rentrée des classes à la rentrée 1945 a lieu le 1er octobre. C’est la première année où le système scolaire refonctionne sur l’ensemble du territoire français après plusieurs années de guerre. À la rentrée 1944[1] en effet, l’ensemble du territoire n’était pas encore libéré et il avait fallu commencer par la reconstruction des écoles et établissements scolaires : plus de 10 000 d’entre eux avaient été détruits durant la guerre et en 1945, la rentrée se fait dans un dénuement important pour beaucoup d’élèves. Les enseignants et enseignantes aspirent à la naissance d’un nouveau système scolaire, soutenus par le syndicalisme de l’éducation qui a repris son activité depuis plusieurs mois. 80 ans plus tard, retour sur une rentrée entre difficultés et espoirs.

Une rentrée 1945 marquée par les difficultés

Le nombre d’élèves à accueillir en 1945 est important : il y a 4,3 millions d’élèves dans le primaire, 750 000 dans le secondaire et 100 000 étudiant·es. L’ensemble des structures scolaires, que l’on nomme encore sous l’appellation générale d’« Université » doit être remis en route. Mais surtout le nombre de naissances est en hausse très importante et le « baby-boom » de cette période va entraîner la nécessaire augmentation du nombre d’écoles et d’établissements scolaires. Mais pour le moment, il faut accueillir convenablement les élèves et cela n’est pas simple. Dans le premier éditorial publié par la Fédération générale de l’éducation (FGE), l’organisation syndicale qui regroupe l’ensemble des syndicats de l’éducation et qui est encore intégrée à la CGT, le syndicaliste Adrien Lavergne[2], secrétaire général de cette organisation ( de 1944 à 1956, la FGE se transformant ensuite en FEN) évoque tout d’abord l’absence de nombreux enseignants et enseignantes qui ont participé à la guerre : «  Comment ne pas penser aux martyrs de l’Université, à nos chers militants qui durant des années de tortures physiques et morales, ont su conserver intact leur idéal syndicaliste ? Nous avons revu avec joie Vidalenc, de retour d’un bagne allemand, toujours aussi confiant, toujours aussi résolu à combattre l’oppression. Avec ferveur, nous attendons Paty. Nos poings se crispent, nos cœurs se serrent : G.Lapierre, Rollo[3] ne sont plus.[4] » Ce qui est vrai pour les militants de l’éducation au niveau national l’est aussi pour les instituteurs et professeurs dans tout le territoire français : il faut faire face à la disparition de nombreux enseignants et enseignantes qui ont perdu la vie dans les années précédentes[5].

Le goût du risque et l’aptitude à voir grand

Il faut donc recruter de nouvelles personnes et aussi « assurer à chaque universitaire le traitement auquel sa qualité de travailleur et l’importance nationale de sa mission lui donnent droit. » Le dirigeant syndical explique également qu’il faut démocratiser l’école et adopter des réformes qui permettent une meilleure émancipation de toutes et tous par l’éducation. Cela implique une lutte contre les inégalité sociales très fortes encore dans le pays. Il explique en effet que si la Nation ne s’occupe pas de l’éducation, le pays sera de nouveau en péril : « Pensons sans cesse que l’homme est sujet aux reculs les plus inexplicables, qu’on peut l’asservir en ne cultivant pas en lui les sentiments de solidarité et de fraternité, en lui donnant une éducation pernicieuse, en l’habituant au meurtre de l’ennemi.[6] » Ces paroles fortes montrent la prégnance de la culture de guerre sur ces hommes et ces femmes qui dorénavant doivent préparer la France de demain. Pour cela affirme Lavergne, il faut avoir « une imagination vive, le goût du risque et l’aptitude à voir grand. » A cela ajoute-t-il, il faut également « se souvenir afin de mieux combattre ». 80 ans plus tard, de tels mots d’ordre sont toujours d’actualité.


[1] Voir notre article à ce sujet https://centrehenriaigueperse.com/2024/09/07/rentree-1944-la-liberation-lecole-et-le-renouveau-du-syndicalisme-de-leducation/

[2] Voir sa notice biographique du Maitron https://maitron.fr/lavergne-adrien-lavergne-firmin-adrien/

[3] Sur Joseph Rollo, voir Benoît Kermoal, “ Histoire et mémoire d’un militant laïque : Joseph Rollo,, socialiste, syndicaliste et résistant », note pour la fondation Jean-Jaurès, mai 2025, en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/histoire-et-memoire-dun-militant-laique-joseph-rollo-socialiste-syndicaliste-et-resistant/

[4] Adrien Lavergne, « Notre combat » , l’Enseignement public, octobre 1945. Sur Georges Vidalenc, responsable après-guerre du centre de formation de la CGT, voir sa notice du Maitron, https://maitron.fr/vidalenc-georges-vidalenc-joseph-georges/ . René Paty qui est évoqué ici ne revient pas de déportation contrairement à ce qu’indique cet article, voir sa notice Maitron https://maitron.fr/paty-rene-augustin-constant-florentin-lucien/  

[5] Voir par exemple, l’article d’Anna Quéré, « Après la Seconde Guerre mondiale, le difficile retour à l’école en Bretagne », Le Télégramme, 31 août 2025.

[6] Adrien Lavergne, op.cit. Les citations suivantes proviennent du même article.


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