La Cour des Compte revient sur la création du Pass culture et sa gestion durant sa phase de préfiguration (entre 2017 et 2019) avec l’intervention d’ « une start-up d’État, sous la double tutelle du ministère de la culture et la direction interministérielle en charge du numérique ». La Cour identifie sur cette période plusieurs difficultés de gestion qui l’amène à se pencher sur les épisodes qui ont finalement conduit à la création de la SAS (société par actions simplifiée) qui gère dorénavant le dispositif et à faire plusieurs préconisations.
Nous ne reviendrons pas ici sur ces aléas administratifs et financiers qui conduisent d’ailleurs l’État à être le seul contributeur alors même que « la vision à moyen terme des ressources du Pass Culture se fondait donc sur l’idée d’un cofinancement entre l’État et ses différents partenaires qui devait générer un fort effet de levier, avec un effort financier supporté par l’État attendu autour de seulement 20 à 25% du budget global ».
La Cour des Compte, bien qu’elle précise ne s’intéresser dans ce rapport qu’à la gestion du Pass’culture, n’en profite pas moins pour glisser deux remarques importantes qui touchent directement à la construction d’une politique publique de la culture.
Tout d’abord, la Cour indique que « sa phase d’expérimentation et les premières statistiques disponibles au titre de son utilisation sont encourageantes et tendent à démontrer qu’il répond à certaines attentes en levant l’une des barrières, financière, à l’accès aux biens culturels ». Implicitement le rapport reconnait donc que l’accès aux biens culturels n’est pas uniquement une question financière, même si celle-ci peut être un frein important pour de nombreuses personnes. Le rapport ne va pas plus loin, mais il ouvre effectivement la perspective à la nécessaire prise en compte d’autres leviers que financiers pour développer les pratiques culturelles et mettre en œuvre les droits culturels pour toutes et tous.
Par ailleurs, la Cour note également note que l’évolution du dispositif avec l’ouverture d’une part collective dans le pass’culture, « représente en particulier un bouleversement majeur de l’équilibre général du dispositif en le mettant au service de l’éducation artistique et culturelle, manière de reconnaître l’importance cruciale de la médiation et de la pédagogie dans l’accès à la culture ». Sans se départir de la volonté de promouvoir la « démocratisation culturelle », le rapport introduit une prise de distance essentielle avec la conception du « choc esthétique » de Malraux, nécessitant de provoquer la rencontre des œuvres et des publics, sans aucun intermédiaire. La priorité donnée dorénavant à l’éducation artistique et culturelle (EAC*), même s’il demeure difficile d’en faire une évaluation à la fois quantitative et qualitative, transforme de fait le ministère de la Culture, en partie en un ministère éducatif là où Malraux affirmait sa différence, comme il l’exprimait devant le Sénat le 8 décembre 1959 : « Où est la frontière ? L’Éducation
nationale enseigne ; ce que nous avons à faire, c’est de rendre présent. Pour simplifier, je reprends ce que j’ai dit à l’Assemblée nationale : il appartient à l’université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ses pièces de le faire aimer. Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les faire connaître. La connaissance est à l’université ; l’amour, peut-être, est à nous ». C’est cette distinction sur la nécessité ou non d’un accompagnement des publics, qui scella le divorce dans les mois suivants entre le naissant ministère des Affaires culturelles et le haut-commissariat à la Jeunesse et aux sports en charge de l’éducation populaire.
Y aurait-il dorénavant un peu plus de connaissance et … un peu moins d’amour du côté de la Culture ? Ce renoncement de Malraux à l’approche éducative est considéré par Jean-Miguel Pire** comme « un grave échec, y compris aux yeux de Malraux. C’est un échec parce que les questions de transmission sont évidemment liées à la réalisation de la démocratisation culturelle qui représente une mission majeure du ministère des Affaires culturelles », d’autant que « son ministère aurait pu porter une alternative pédagogique en matière d’éducation artistique et culturelle, mais il s’est heurté à l’indétrônable monopole éducatif de la rue de Grenelle ». Il semble qu’une nouvelle orientation renoue finalement avec une approche éducative, même si les équilibres restent difficiles et qu’on ne gommer d’un seul geste plus de 50 ans de relations ambiguës entre la monde de la Culture, celui de l’Ecole et celui de l’éducation populaire. Il ne sera pas inintéressant qu’à l’occasion, d’ici trois ou cinq ans, d’une évaluation plus complète du pass’culture, la Cour des comptes tente d’éclairer en quoi ce nouvel outil de politique culturelle aura fait bouger les lignes.
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* pour approfondir sur l’EAC, on pourra se référer à la recherche menée par le Centre Henri Aigueperse https://centrehenriaigueperse.wordpress.com/2020/04/03/la-culture-est-elle-transmissible-leducation-artistique-et-culturelle/
** Pire, Jean-Miguel. « Malraux contre l’éducation ou contre l’Éducation nationale ? Sociologie historique d’une occasion manquée. Premier volet : Les raisons stratégiques d’un abandon », Sociologie de l’Art, vol. ps2930, no. 1-2, 2019, pp. 95-113.
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