La construction des politiques éducatives a été clairement modifiée depuis une quinzaine d’années: succession d’annonces, mise en œuvre de réformes rapides, dialogue social à la marge. Xavier Pons, chercheur en sciences de l’éducation y décrypte une méthode de fabrique des politiques éducatives cohérente et nous invite à relier des éléments qui semblent isolés, pour voir se dessiner un puzzle accéléré.
Dans son ouvrage La fabrique des politiques éducatives (Janvier 2024, PUF) qui fait suite à un rapport thématique pour la conférence de comparaison internationale du Cnesco, il éclaire les effets des modèles de conception des politiques éducatives par une recherche personnelle et une synthèse de revue de littérature de la recherche francophone et anglophone.
Le Centre Henri Aigueperse a complété cette note de lecture par un entretien avec l’enseignant chercheur de l’université Claude Bernard Lyon 1, à lire ou à écouter dans notre nouveau Podcast.
Comment se fabrique la politique d’éducation?
Trois grands modèles de fabrique des politiques d’éducation sont identifiables depuis la Libération. Bien que leur apparition soit successive, l’apparition d’un modèle ne vient pas remplacer le précédent. A chaque fois, le nouveau modèle vient se sédimenter au précédent, se greffer à lui et se transformer à son contact. Ainsi, on retrouve dans chaque réforme de l’éducation actuelle un peu de ces 3 âges et on ne peut comprendre la logique et les enjeux des réformes actuelles, que si l’on comprend comment ces modèles de fabrique se sont sédimentés et les traces qu’ils ont laissées.
La communauté de politique publique est le modèle le plus ancien, existant depuis les années 1950.
Dans ce fonctionnement qu’on peut qualifier de corporatiste et bureaucratique, le système éducatif est régulé par un réseau d’acteurs fermé, homogène et stable. Le ministère négocie avec des acteurs représentatifs la conception des réformes et les modalités de leur mise en œuvre. Les organisations professionnelles, syndicats, associations sont des acteurs clés et donc consultés à différents niveaux dans des cadres d’instances ou des espaces institutionnalisés. Une même règle, supposée s’appliquer à tous de la même manière sur le territoire, est négociée entre le ministère et ses interlocuteurs.
Le modèle néolibéral de la décommunautarisation est apparu en réaction au modèle précédent dans les années 1970 et concurrence le modèle précédent particulièrement depuis 2005. Il semble prendre des directions diverses, mais battre en brèche le modèle précédent est une constante. Sa déconstruction passe par une désectorisation, une dénationalisation, une dérégulation, une désétatisation et même une dématérialisation de la fabrique des politiques d’éducation. Dans ce deuxième âge, le pouvoir d’influence des corps intermédiaires est contourné ou atténué. Ils doivent partager leur rôle avec un nombre croissant et divers d’acteurs pourtant extérieurs à la communauté, qui sont sollicités et apportent leurs points de vue et leurs intérêts (experts, éditorialistes, opinion publique, think-tank, …).
La politique du « puzzle accéléré »
C’est un modèle qui semble avoir été mis à l’œuvre sous le ministère de Xavier Darcos (2007-2009) et vraisemblablement actuellement. L’image du puzzle permet d’illustrer qu’au-delà des apparences, les éléments de la politique éducative menée forment un ensemble cohérent. Chaque pièce, chaque action conduite par petits changements successifs contribue à de profonds changements une fois connectée aux autres. L’ajout continuel de petits changements en apparence très légers et non planifiés dans un processus établi est en réalité une méthode de travail identifié en sciences humaines qu’on appelle l’incrémentalisme. Leur accumulation peut aboutir à un changement radical par accumulation de ces changements imperceptibles.
S’ajoute à cela une accélération du temps. On veut gouverner de plus en plus vite pour surprendre les acteurs du débat public par une fast politique. La fast-politique qui désigne une façon de faire des politiques publiques dans des temporalités courtes voire dans l’urgence. Cette politique s’appuie sur des réseaux d’acteurs mondialisés qui mettent en exergue des solutions miracles tirées de comparaisons internationales. Les acteurs étant contraints de parer au plus pressé et limités dans leur possibilité de coordination, l’enchaînement de micro-réformes permet à ce modèle de contourner les résistances et de tendre vers une standardisation internationale des politiques éducatives. Dans ce modèle, la contribution des organisations professionnelle semble presque ignorée, en tout cas très secondaire.
Les effets de ce troisième modèle ne sont pas encore étudiés en France, mais sont déjà identifiés à l’étranger.
Quels constats de ce modèle ont déjà été faits à l’étranger ?
La littérature de recherche a observé que dans un temps très court, des systèmes éducatifs pourtant très différents, ont connu des évolutions similaires de leurs programmes sous l’influence de réseaux d’experts internationaux. Par exemple, l’introduction de la formation à la programmation et au codage informatique est une évolution prise par divers pays (Australie, Suède, Angleterre, …) en même pas deux ans. Finalement, les politiques éducatives mises en œuvre sont souvent pensées ailleurs que les territoires nationaux et sont de plus en plus les fruits des réflexions d’experts mondialisés.
Aujourd’hui, en France, qui fabrique les politiques éducatives ?
Cette question complexe constitue elle-même un champ de recherche entier. Il n’y a pas que les gouvernants qui fabriquent les politiques éducatives, mais tous les acteurs avec lesquels ils interagissent, tant au niveau international, national que local. La liste de ces acteurs n’est pas d’une importance capitale, mais bien plus comment ils se coordonnent et selon quel modèle. Dans celui du puzzle accéléré, les réseaux d’experts mondialisés ont beaucoup de pouvoir sur les idées. Mais ils n’ont que ce pouvoir là. Celui de la mise en œuvre appartient à l’exécutif.
Pour être efficaces, les politiques éducatives doivent d’inscrire dans le temps. Quel est le « meilleur » modèle pour une politique éducative durable ?
Chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients. Le puzzle accéléré a déjà démontré ses limites puisqu’en effet, il est difficile d’envisager des réformes à long terme quand une solution retenue comme pertinente est obsolète au bout de quelques années seulement. Mais la décommunautarisation se caractérise également par une forte instabilité conjoncturelle des politiques, notamment parce que la lutte entre les acteurs donne tantôt raison aux uns, tantôt aux autres. Enfin, une conséquence bien identifiée du modèle communautaire est le stop-and-go ; c’est-à-dire une succession de périodes de blocages parfois longues et de moments d’accélération réformateurs mais parfois brutaux. Ce qui dure, c’est parfois la période de stop et non un temps au cours duquel une réforme porterait ses effets. Ce modèle n’est donc pas non plus le gage de l’inscription dans un temps long d’une réforme profitable à tous.
Comment fabriquer des politiques éducatives cohérentes dans le temps ?
Il faut poser de nouvelles balises dans les processus de fabrique des politiques éducatives en France. Un texte de référence sur la façon dont on gouverne l’Ecole serait un outil pour tendre vers des réformes durables. En France, nous avons besoin de cadrer les projets de réforme avec des principes peut-être très simples et généraux, mais fondamentaux (évaluer une réforme avant de la remplacer, etc). Une convention citoyenne pourrait tout à fait y travailler et cela permettrait de cadrer ce processus de réformes accélérées et retrouver une cohérence dans le temps.
A l’heure actuelle et à l’avenir, quel est selon vous le rôle des corps intermédiaires ?
Leur influence actuelle n’est pas évidente à mesurer. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir le rôle des acteurs dans un processus. En ce sens, les corps intermédiaires ont un rôle majeur à jouer pour réintroduire de la technicité dans les processus de réformes proposées. Car dans un contexte de fast-politique, le risque que les réformes ne répondent pas aux enjeux complexes d’éducation dans lesquels les acteurs sont plongés, est grand.
Xavier Pons, La fabrique des politiques d’éducation. La rapidité sans la qualité ? PUF, ISBN 978-2-13-085404-3, 23€.
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