Youssef Souidi est économiste, chercheur postdoctorant au CNRS et à l’Université Paris Dauphine-PSL. Ses recherches portent principalement sur les inégalités scolaires. Son ouvrage « Vers la sécession scolaire ? » analyse les liens entre politiques d’affectation scolaire et ségrégation sociale dans les collèges français et prend appui sur ses travaux de thèse soutenue en 2022 à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’Ecole d’économie de Paris.
Après un état des lieux du système éducatif et des dérives de la ségrégation, il décrit comment les familles sont prises au piège de ce système. Mais il poursuit l’analyse en dressant des perspectives constructives et des solutions.
L’auteur ne mache pas ses mots : « La ségrégation scolaire, sous ses différentes formes, apparait alors comme un élément structurant de l’école française. »
Dans la première partie de l’ouvrage, il décrit comment des collèges, bien que proches géographiquement, scolarisent des enfants aux caractéristiques sociales opposées. L’analyse de l’indice de position sociale (IPS) dans les établissements de très grandes villes, révèle des écarts extrêmement importants entre les collèges de la capitale, mais aussi la composition sociale (très) favorisée à échelle nationale des établissements privés. A Marseille par exemple, sur 91 collèges publics, 30 font partie des 10 % les plus défavorisés alors que 13 collèges privés font partie des 10 % de collèges les plus favorisés à l’échelle nationale. L’ouvrage illustre également par diverses données statistiques, les écarts importants de composition sociale entre collèges de villes de taille moyenne.
La carte scolaire ou l’implantation historique des établissement privés seraient elles des explications suffisantes à ces phénomènes ? Loin de là. Youssef Souidi démontre des écarts de composition extrêmes entre établissements distants de moins de 15 minutes à pied. Il illustre comment les élèves socialement défavorisés vont plus souvent fréquenter un collège à la composition sociale moins favorisée que leur environnement résidentiel. A l’inverse, une part importante des élèves favorisés évolue dans un environnement scolaire socialement plus favorable que celui de leur voisinage.
L’ouvrage explicite le phénomène de ségrégation entre classes d’un même établissement, celles étant liées aux origines ethniques étant peu documentées en France. Il démontre en quelle mesure, les élèves qui fréquentent la classe la moins favorisée d’un établissement se retrouvent dans un environnement social radicalement différent de ceux affectés dans la classe la plus favorisée.
Dans sa deuxième partie, l’auteur démontre à l’appui de diverses données statistiques, le contournement de la carte scolaire, particulièrement au sein des catégories sociales favorisées. Le recours au secteur privé par les familles favorisées représente le double de celui pour les familles socialement défavorisées. Et lorsque les chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus inscrivent leurs enfants en collège public, seul un sur 5 reste dans l’établissement de secteur.
A travers un classement des établissements, Youssef Souidi retrace les comportements d’évitement des familles en fonction de la composition sociale de leur collège de secteur et fait apparaitre que le principal levier d’éviction est l’inscription en établissement privé par les catégories favorisées. La classe de sixième faisant figure de palier.
Les leviers d’action qu’il identifie pour endiguer ces phénomènes sont divers :
- Travailler l’attractivité de certains établissements en les requalifiant pour limiter la déperdition de certaines catégories sociales entre le CM2 et la 6e .
- Pour limiter les disparités à l’intérieur d’un établissement, la création d’un outil d’aide à la constitution des classes qui prend en compte l’origine sociale des élèves.
- Retravailler la sectorisation des villes pourrait avoir un effet, notamment là où le privé est une offre alternative moins accessible.
- La fermeture complète d’établissements dans des « ghettos » comme cela a été expérimenté à Pau, mais dans cas, l’allongement des temps de trajet incombe aux moins favorisés.
- Créer des secteurs multicollèges de façon à ce qu’un couple d’établissement partage un bassin de recrutement large. A Paris, dans le 18e, c’est un principe de rentrée alternée une année sur deux pour les 6e qui a été acté depuis 2017. Si le dispositif n’a pas évité des fuites vers le privé, l’objectif de désenclavement de l’un des deux établissements semble avoir été atteint.
- Une plus grande transparence des modalités d’admission et d’inscription de la part des établissements privés pour égaliser les conditions d’accès par la mise en place d’une plateforme d’affectation.
- Intégrer un objectif de mixité sociale dans le financement des établissements privés.
Ces différentes stratégies ont le mérite d’être étayées par une analyse contradictoire. Loin d’être présentées comme des solutions miracles, elles s’appuient sur des recherches ou des expérimentations menées, et Youssef Souidi en énumère les limites ou points de vigilances tout en rappelant que « leur pertinence s’apprécie au regard des configurations locales ».
Pour conclure, l’auteur évoque le Choc des savoirs, « une solution avancée par le ministre de l’Education Nationale Gabriel Attal ». Il avertit : « il est néanmoins à craindre que face aux contraintes d’emploi du temps auxquels font face les chefs d’établissements, les classes soient constituées à partir de l’appartenance à ces groupes- qui deviendraient alors des classes de niveau socio-scolaire. »
Youssef Souidi, Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège. Avril 2024. Fayard. 226 pages
Youssef Souidi, participé à une table ronde sur les inégalités sociales en septembre 2023 lors de l’AG du Centre Henri Aigueperse. Elle réunissait également Étienne Butzbach, en charge des questions d’inégalités scolaires pour le CNESCO et Denis Adam, délégué général du Centre.
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bonjour,
Peu rompu à la sociologie malgré la lecture de quelques ouvrages (aux intentions éblouissantes mais, en fin de compte, très décevants) je me demande si celui-ci s’est posé la question des moyens intellectuels intrinsèques à chaque individu et des exigences culturelles et du « sens de l’effort » (ou éducation à la frustration) inhérente à certaines familles, ces conditions qui déterminent la possibilité réelle d’une mixité sociale autre que celle fantasmé par des gens ayant fait des études peu exigentes (qui ignorent en grande partie les processus d’approche vraie de la réalité).
Si quelqu’un peut répondre, cela peut donner un indice de l’intérêt de cette publication.
Merci.
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Bonjour,
Il nous semble que l’auteur de l’ouvrage, docteur en sciences économiques, démontre d’avantage le fonctionnement et les limites « du système » qu’une approche sociologique des choix ou possibilités des familles. Il dit d’ailleurs que celles-ci sont prises au piège d’un système scolaire. Le regard d’économiste avec lequel il aborde le sujet l’a amené à analyser de nombreuses données chiffrées sur le lieu d’habitation et de scolarisation des collégiens, comparant les mécaniques des grandes villes à celles de taille moyenne. C’est un angle d’approche du sujet qui le distingue d’autres auteurs, notamment sociologues, et qu’il évoquera lors d’une interview que nous diffuserons dans un prochain épisode de notre Podcast « Ce que nous apprend la recherche ».
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