Cette Constitution qui nous protège

Régulièrement citée par les politiques, brandie par les oppositions ou questionnée par les usagers, la Constitution de la Vème République, datant de 1958, semble apparaître aujourd’hui incompréhensible et datée.

C’est tout le contraire que défend cet ouvrage en nous proposant une lecture commentée et référencée du texte fondateur de notre système politique et ce depuis soixante-cinq ans. Pour son auteure, Anne-Charlène Bezzina, Maître de conférences en Droit public et enseignante à Sciences Po, « elle (La Constitution) a beaucoup changé, elle a beaucoup appris et elle joue toujours son rôle fondateur : protéger les droits des citoyens, leur offrir des grilles de lecture pour les périodes de grisaille politique et leur proposer son marbre lorsqu’ils souhaitent y graver leur histoire ».

Un changement constitutionnel autant qu’une résurrection politique

Portée par le Général De Gaulle alors nommé président du Conseil de la IVème République (c’est-à-dire Premier ministre) par René Coty, la nouvelle constitution est née dans un contexte d’instabilité politique : rédigée en moins de deux mois par un groupe d’experts sous l’égide d’un général se projetant déjà dans son futur mandat de président de la Vème République à naître, elle fut validée par les citoyennes et les citoyens lors du référendum du 28 septembre 1958 mettant ainsi fin à la IVème République et à la valse des gouvernements précédents.

Une constitution fruit de son histoire et de son présent

Posant avec un très bref mais essentiel préambule son ancrage dans la Déclaration de 1789 et dans le Préambule de 1946, ce texte fondateur « se concentre sur le rapport entre les pouvoirs, sur la manière dont va travailler le Parlement ». Or, lu sans ce préambule, il pourrait avoir un aspect « technique » voire « procédural » relevant plus du manuel de l’utilisateur que d’un texte fondamental quant aux libertés des citoyens qu’il protège et dont il édicte les droits et devoirs.

Résultante du passé politique, la Constitution de 1958 est aussi un texte « vivant » au sens où sa mise en œuvre donne lieu à des évolutions, des modifications et même à des interprétations montrant ainsi que sa mise en pratique « a parfois contredit, parfois enrichi, parfois complété le texte » initial.  

Un régime constitutionnel « semi-présidentiel [1]»

Le projet de 1958 était double : « rétablir un chef fort et un véritable régime parlementaire équilibré ». Reprenant les institutions des précédentes, l’organisation de cette Vème République pose dès le départ une place nouvelle pour son Président qui doit ainsi pouvoir « gouverner au-dessus de la politique des partis et à l’abri des interférences parlementaires ». Ces pouvoirs étendus sont, en théorie, équilibrés par l’instauration d’un Premier ministre chef du gouvernement, or la pratique démontre que « la répartition du pouvoir exécutif a toujours été en faveur du président de la République » notamment lorsqu’il est de la même couleur politique que son Premier ministre et de facto qu’il a la majorité dans les grandes institutions.

Ce principe de « fait majoritaire », c’est-à-dire d’alliance politique de toute la chaine de décision allant du Président jusqu’à l’Assemblée nationale en passant par le Premier ministre est renforcée par deux points essentiels définis dans la Constitution : l’élection du Président de la République au suffrage universel à partir de 1962 et plus récemment, l’inversion du calendrier électoral plaçant le suffrage présidentiel avant celui des législatives en raison du passage au quinquennat. Seule la limitation de l’exercice présidentiel a deux « mandats consécutifs » semble être la garantie d’une alternance du titulaire de la charge d’Etat.

Cette particularité, longuement explicitée dans l’ouvrage de Anne-Charlène Bezzina, est une réelle caractéristique française et le propos de l’auteure apporte une grille de lecture très éclairante quant à l’évolution du mandat présidentiel depuis son instauration.

Un régime constitutionnel à « plusieurs têtes » 

Après quatorze articles dédiés à l’autorité présidentielle, la Constitution définit dans les trois suivants celle donnée à la seconde tête de l’exécutif sous la Vème République : le gouvernement composé d’un Premier ministre désigné par le Président et d’une équipe à géométrie variable constituée par le Premier ministre… comme une illustration parfaite de la quadrature du cercle que seules les périodes de cohabitation politique semblent pouvoir altérer.   

Par son analyse de ces trois courts mais essentiels articles notamment par le prisme de l’actualité politique, Anne-Charlène Bezzina rappelle le caractère éminemment parlementaire de la Vème République : « c’est bien le Gouvernement qui détermine et conduit la politique « législative » de la Nation, puisque le Président n’entre pas dans les assemblées », alors même que les ministres ont leur place réservée au premier rang des deux Palais où siège le Parlement. Ainsi, à l’Assemblée nationale et au Sénat, le gouvernement siège pour y défendre le cap politique fixé en conseil des Ministres, et de fait, est désigné responsable tant devant le chef de l’Etat que devant les pairs parlementaires ou les citoyennes et citoyens.

Ce jeu relationnel entre le gouvernement et le Parlement, traduit une inversion voulue par rapport à la précédente constitution de 1946. Il fait d’ailleurs l’objet de nombreux articles définissant à la fois le nouveau visage et les prérogatives des deux chambres parlementaires ainsi que le cadre des échanges entre gouvernement et Parlement sous le couvert d’un gardien essentiel : le Conseil constitutionnel véritable nouveauté de la Vème République.

Anne-Charlène Bezzina, situe ainsi dans son explicitation des articles le rôle majeur de ce nouvel organe : indépendant du politique (au sens où il ne rend pas de compte aux Assemblées ou au Président) il est assujetti à la seule constitution dont il est garant et défenseur lors de la vérification des textes de loi proposés. Mais elle précise également que cette indépendance peut être temporisée par le mode de désignation des neufs membres constituant ce conseil. En effet, ni élus ni recrutés « sous condition de connaissance du droit, d’expérience, de diplômes, d’indépendance ou de transparence », ils sont choisis par trois grandes autorités : le président de la République et les présidents des deux assemblées.  Cette nomination éminemment politique est d’ailleurs souvent perçue, à tort selon l’auteure, comme risque de partialité par les citoyennes et les citoyens.  

Une constitution inscrite dans une géographie aux frontières multiples  

En phase avec son époque de rédaction, La Constitution de 1958, après avoir redessiné l’organisation interne à la Nation, s’inscrit également dans la mondialisation de la sphère politique en définissant les conditions pouvant permettre de conclure des accords internationaux. En parallèle, sous la volonté de décentralisation, la Constitution vient aussi préciser les principes « d’un mouvement de transfert du pouvoir central étatique vers des collectivités autonomes dites « territoriales ». Puis dans le chapitre suivant, elle établit les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie, illustration de l’éternelle recherche d’équilibre entre respect du texte législatif et nécessité d’évolution sociétale. Enfin, La Constitution aborde la participation de la République à l’Union Européenne ou plutôt comment les directives européennes s’imposent à la France dans le respect de sa souveraineté garantie par la veille active du Conseil constitutionnel.

Une constitution fondatrice pourtant méconnue

A travers ces différents chapitres, force est de constater que la Constitution est un texte essentiel à la vie politique et plus encore à la vie citoyenne française. Parce qu’elle balaye l’entièreté des strates garantissant le fonctionnement de notre pays dans un esprit d’universalisme, il est essentiel de bien la comprendre. C’est ce que nous permet Anne-Charlène Bezzina dans cet ouvrage dont nous vous recommandons la  lecture.

Anne-Charlène Bezzina Cette Constitution qui nous protège. Le texte intégral de la Constitution et les éclairages indispensables pour tout comprendre. XO Edtitons Octobre 2024


[1] Expression du constitutionnaliste Maurice Duverger



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