Qu’est-ce qu’être français ? L’apport des études historiques

Face au débat actuel sur l’identité française, il faut se rappeler cet aphorisme de Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».  En effet, oubliant les expériences politiques malheureuses du passé récent, le gouvernement actuel semble décidé à relancer un débat sur l’identité nationale. Quel est le but d’une telle manœuvre à part diviser celles et ceux qui vivent sur notre territoire ? Et si un tel débat risque de se terminer en une farce, c’est que la construction historique de la nationalité dans notre pays semble trop souvent méconnue. Pire, l’histoire vue seulement comme un roman national sert de prétexte à des propos consternants où l’ignorance se mêle à des considérations aux relents xénophobes. Tout cela est bien regrettable mais c’est le bon moment pour faire référence à quelques travaux majeurs d’historiens et d’historiennes qui ont travaillé sur l’histoire de l’identité française et sur la fabrique de la nationalité dans notre pays.

Pour mieux comprendre l’histoire de la nationalité française, la principale étude est celle de Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français. Histoire de la nationalité française depuis la Révolution. Politologue et historien, cet historien est un spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine, avec pour domaines de prédilection, l’analyse historique de la nationalité, de la population immigrée et de la laïcité. Dans ce livre, il offre tout d’abord une brillante synthèse historique du fonctionnement compliqué de l’acquisition de la nationalité en France. Il développe une analyse juridique bien menée, couplée à une étude politique et historique. Ensuite, il compare la nationalité française à d’autres domaines pour mieux en comprendre les spécificités. Cela lui permet de revenir sur la notion du droit du sol, discuté dès la Révolution mais inscrit dans le droit 100 ans plus en 1889. Les discussions actuelles seront mieux comprises en prenant en compte son étude historique : ce livre est un formidable antidote au débat actuel, peu à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi nous en recommandons vivement la lecture. Il explique également les débats durant le XXème siècle concernant l’acquisition de la nationalité pour des personnes étrangères. Faisant cela, il évoque à plusieurs reprises le rôle fondateur de l’École dans la construction de la citoyenneté. L’œuvre de la IIIème République, complétée par plusieurs dispositifs successifs, a permis en effet à des populations étrangères d’obtenir la citoyenneté française. Comme l’explique Ernest Renan dans sa conférence célèbre de 1882, la nation en France est « un plébiscite de tous les jours ». Autrement dit on peut choisir d’être français et cela fait la force du modèle universaliste de la France.

Cette très bonne étude historique de Patrick Weil pourra être complétée par les travaux de Delphine Diaz sur les réfugiés en Europe, ou ceux de Gérard Noiriel sur l’histoire de l’immigration en France. On signalera également le livre fondamental de Jean-François Chanet intitulée L’Ecole républicaine et les petites patries qui explique avec brio l’importance de l’école publique dans la construction d’une citoyenneté française, entre modèle unique et influences régionales.

L’ensemble de ces études historiques permet de relativiser l’importance des débats actuels dans les médias sur l’identité nationale. Les positions exprimées reposent trop souvent sur des raccourcis historiques ou sur une méconnaissance d’ensemble de l’histoire de notre pays. Mais pour tout pédagogue et personnel de l’éducation, ce débat doit reposer sur des faits objectifs pour mieux comprendre notre présent et envisager l’avenir.

Pour aller plus loin :

Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Folio, 2005.

Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Aubier, 1996.

Delphine Diaz, En exil : les réfugiés en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Folio, 2021.

Gérard Noiriel, Histoire populaire de la France, de la guerre de 100 ans à nos jours, Agone, 2019.