Le Centre Henri Aigueperse a assisté à la table ronde intitulée « Pour de futures mutualisations » organisée par la Fondation Jean Jaurès le 2 avril 2025.
Cette rencontre, rassemblant chercheurs, praticiens et acteurs du monde mutualiste, a mis en lumière une notion essentielle et particulièrement actuelle : celle de la mutualisation dans un contexte mondial traversé par de profondes mutations sociales, économiques et environnementales.
Une notion ancrée dans l’histoire et la réalité actuelle
Jean-Philippe DOGNETON, directeur général de la Macif, a ouvert la conférence en rappelant que la mutualisation s’ancre dans une histoire longue, remontant jusqu’à la loi rhodienne du VIIIe siècle. Il a insisté sur le fait que la mutualisation ne se limite pas à une modalité d’assurance mais repose sur des valeurs primordiales de justice sociale, de réciprocité et de proximité avec les réalités vécues. C’est dans cet esprit que la Macif a annoncé la création d’un observatoire des mutualisations.
Une notion protéiforme oscillant entre autogestion et dépendance
L’intervention de Timothée DUVERGER, historien spécialiste de l’économie sociale et solidaire et membre du conseil d’orientation du centre Henri Aigueperse, a permis de poser les jalons historiques et idéologiques du mutualisme. S’inspirant des travaux de Proudhon au XIXème siècle, lequel voyait dans la mutualisation le fondement pour une société autogérée par ses propres institutions, Timothée DUVERGER a retracé le développement des sociétés mutualistes, des premières formes de solidarités professionnelles à la création de la Mutualité française au début du XXe siècle. Il a souligné que si l’économie sociale et solidaire (ESS) porte toujours ces principes, elle souffre aujourd’hui d’un manque d’autonomie, trop dépendante de l’État et des règles des marchés économiques.
Une notion en voie disparition dans une société devenue trop « individualiste » ?
François MIQUET-MARTY, président de l’institut de sondages ViaVoice et de BloomTime, a par le suite abordé la question de la « démutualisation », en analysant trois terrains : les violences verbales sur la route en milieu urbain, les humiliations du quotidien et les interactions sur les réseaux sociaux. En appui sur des études d’opinions et sur des recueils de récits de vie, il analyse que ces trois phénomènes traduisent tous une perte de repères communs, une fragmentation croissante de la société et une remise en cause des formes partagées de légitimité et d’autorité. Le sentiment d’appartenance collective s’effritant, il conclut que cela rend d’autant plus crucial le besoin de repenser les mécanismes de confiance et de reconnaissance mutuelle.
Une notion devant se réinventer pour répondre aux enjeux actuels
Enfin, Gabrielle HALPERN, philosophe, a introduit le concept d’hybridation, rapproché ici de la mutualisation. Loin d’une simple juxtaposition ou fusion, elle propose l’image du centaure pour illustrer une « métamorphose réciproque », où des éléments très différents s’associent et se répondent au regard de leurs besoins initiaux dans le but de « s’améliorer mutuellement ». Cette analyse invite à repenser la mutualisation : sortir d’un système figé pour tendre vers une dynamique vivante et créative, essentielle pour relever les défis contemporains.
Une notion conceptuelle répondant à des visées opérationnelles
Cette première table ronde s’est achevée par l’intervention d’Alain GONORD, directeur de l’engagement de la Macif. Illustrant son propos par de nombreux exemples de mises en œuvre, il aborde la nécessité de penser la mutualisation comme un concept opérationnel au service d’un projet de société. La mutualisation est donc ici voulue plus comme un moyen de « faire ensemble » qu’un objectif utopiste ou idéaliste à atteindre ; et cela sans s’affranchir des règles liées au système économique actuel.
Une notion qui peut faire société à la condition de sortir des schémas actuels
Une seconde table ronde a permis ensuite trois focus sur la mobilité, l’écologie et les assurances à travers les interventions de Marianne TORDEUX-BITKER, directrice des affaires publiques de France Digitale et conseillère au Conseil économique, social et environnemental, de Sylvie LANDRIEVE, directrice du think tank de la SNCF, le Forum des vies mobiles, Aglaé JEZEQUEL, climatologue au Laboratoire de météorologie de l’IPSL[1] et Jean-Philippe DOGNETON, directeur général de la Macif.
Les notions de prévention des risques et d’anticipation de prises en charge ont ainsi été abordées en questionnant la plus-value de la mutualisation. A titre d’exemple, l’analyse des modes de déplacements et de la réalité des trajets effectués quotidiennement démontre que ce modèle ultra-individualiste est en complète opposition avec l’urgence écologique. Or pour Sylvie LANDRIEVE, une des réponses se trouverait dans une mutualisation repensée à une échelle supra territoriale tant pour les ressources à disposition que pour les politiques à déployer dans le développement des moyens de transports plus vertueux.
La notion du lien social entre tous les acteurs privés et publics de notre société trouve toute sa place dans le concept de mutualisation notamment sur les questions du changement climatique. Marianne TORDEUX-BITKER, à travers un travail mené sur l’éco-anxiété, et Aglaé JEZEQUEL, à travers l’observation et l’analyse du développement des nouvelles fractures liées aux évènements extrêmes, abordent ainsi la mutualisation comme un dialogue nécessaire à reconstruire tant sur le volet prévention que sur celui de la gestion des catastrophes écologiques.
Une notion à réinventer pour un futur plus collectif
Adossées à la co-publication par la fondation Jean-Jaurès et la Macif d’un cahier de Tendances intitulé « Pour de futures mutualisations », ces deux tables rondes ont permis de rappeler que la mutualisation, loin d’être un héritage figé, constitue une réponse vivante aux crises actuelles. Elles invitent à retisser les liens collectifs, à renforcer la participation et à réinventer les usages en commun. Le Centre Henri Aigueperse poursuivra ses réflexions et actions autour de ces enjeux.
Pour visionner la table ronde dans son intégralité : https://www.jean-jaures.org/videos-podcasts/pour-de-futures-mutualisations/
Timothée Duverger, Thierry Germain, Alban Gonord Pour de futures mutualisations. Cahiers de tendances de la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec les éditions Le Bord de l’eau Janvier 2025
[1] ISPL : Institut Pierre-Simon Laplace
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