En France, dès son entrée en maternelle, l’enfant devenu élève est obervé·e, analysé·e, évalué·e et cela se poursuivra tout au long de son parcours scolaire et universitaire.
Comment expliquer cet engouement de l’Éducation nationale et par extension de l’Enseignement supérieur pour ce dispositif protéiforme ? En effet, qu’elle soit diagnostique, continue ou sommative, l’évaluation, avant tout geste professionnel réflexif que les enseignant.es doivent acquérir à leur entrée dans la fonction, est aussi devenue une véritable boussole en termes d’orientation des politiques éducatives.
Dans son livre-manifeste, Savoir ou périr, le sociologue Bernard Lahire interroge en effet « l’inversion des priorités entre l’objectif d’apprentissage et l’objectif d’évaluation des connaissances ou des performances ». Selon lui, évaluer est désormais devenu une obsession, il ne s’agit donc plus de s’assurer de la bonne compréhension du travail réalisé par les élèves mais son contraire : « évaluer, noter, classer, hiérarchiser et trier/sélectionner les élèves objectivement mis en concurrence. » Il fait d’ailleurs le même constat au niveau de l’Enseignement supérieur et de la recherche en citant les délais raccourcis imposés aux étudiants pour la mise en œuvre de leurs travaux réflexifs et la mise en concurrence entre les chercheur·euses pour l’obtention des moyens nécessaires à la pratique de leur métier.
Bernard Lahire cite également les effets néfastes d’une telle emprise de l’évaluation comme mode de pilotage éducatif sur les pratiques enseignantes : subissant la pression conjointe de leur hiérarchie et des familles soucieuses de la réussite de leurs enfants aux examens finaux, les professeur·euses privilégient « l’enchaînement soutenu des séquences pédagogiques sur la profondeur et la solidité des acquisitions ». Pour toutes et tous, élèves, enseignant.es, parents, institution, « finir » le programme devient la garantie nécessaire pour réussir à passer la ligne d’arrivée de l’examen terminal et si possible être en tête du classement.
Or, cette compétition acharnée objectivée par la notation est, pour Bernard Lahire, synonyme d’ »une mise en concurrence généralisée qui ne favorise au final que les plus adaptés au système ». Par extension, ce nivellement élitiste par la note éloigne le système éducatif de sa mission première pourtant autoproclamée : assurer la cohésion sociale dans l’École et par l’École, pour ne laisser aucun élève sur le bord du chemin.[1]
Pour Bernard Lahire, étant partie intégrante du dispositif d’apprentissage, l’évaluation doit être questionnée dans une notion de continuum d’acquisition : par l’accompagnement de l’enseignant·e, permettre à l’apprenant·e de développer sa réflexivité et son pouvoir d’agir tant pour sa construction individuelle que pour le bien collectif.
Nous vous recommandons vivement la lecture de ce manifeste visant à repositionner positivement l’évaluation dans le processus d’apprentissage : être évalué pour évoluer et participer à l’élaboration d’une intelligence collective profitable à toutes et tous, et non plus être évalué·e pour performer et se concurrencer les uns aux autres.
Bernard Lahire Savoir ou périr Éditions du Seuil Aout 2025
Présentation de l’ouvrage : https://www.seuil.com/ouvrage/savoir-ou-perir-bernard-lahire/9782021588965
[1] Bulletin officiel n° 26 du 27 juin 2024 – Encart Circulaire de rentrée 2024
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