Chaque année depuis 2013, la Fondation Jean-Jaurès, en lien avec le Monde, le Cevipof, l’institut Montaigne et Ipsos, mène une grande enquête intitulée « Fractures françaises ». De nombreuses informations quantitatives permettent de mesurer l’état de l’opinion française et de déceler les évolutions d’année en année. En 2025, plusieurs indications révèlent une société plus morcelée et en proie aux inquiétudes. L’enquête aborde également la place des syndicats en France, avec des questions nouvelles, et là aussi les signaux sont au rouge. Décryptage ci-dessous avec quelques tentatives d’explication.
Les résultats de l’enquête 2025 montrent globalement qu’il existe de plus en plus de fractures dans notre société : Gilles Finchelstein, secrétaire général de la fondation, insiste sur l’ « extrême droitisation » de la vie politique et des préférences partisanes[1], et Antoine Bristielle, quant à lui, en tant que directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, montre les inquiétudes dans la société et le climat de résignation[2].
Cela touche principalement les opinions politiques, mais c’est l’ensemble des institutions dans notre pays qui sont ainsi remises en cause. De plus, l’opinion doute également de la fiabilité des médias, tout comme elle exprime des incertitudes grandissantes sur l’avenir. Les corps intermédiaires ne sont pas épargnés, et on peut faire un focus sur les syndicats.
Quelle confiance pour les organisations syndicales ?
À la question sur la confiance concernant les organisations syndicales, on constate cette année une baisse par rapport à l’année précédente de 39 % à 36 %, ce qui est une première information notable. On doit toutefois souligner que comparativement à d’autres institutions, les syndicats apparaissent en 4e position sur 10 en ce qui concerne la confiance, loin devant les députés ou les partis politiques. L’ensemble des 10 structures évoquées est en baisse cette année, ou en relative stagnation. Les Français et les Françaises ont le plus confiance dans les banques, et le moins confiance dans les partis politiques. Mais la 4ème position pour les syndicats est plutôt un constat positif dans cet ensemble morose.
Il est intéressant, comme le propose l’enquête, de détailler ces chiffres de la confiance en fonction de la coloration partisane : les réponses des personnes interrogées qui se situent à gauche ont confiance dans les syndicats à 65 %, pour Renaissance cela descend à 22 %, le chiffre le plus bas concerne les LR à 15 %. Quant aux partisans du RN, le chiffre est de 28%. On le voit donc clairement : lorsqu’on affirme une sensibilité de gauche, on a confiance à plus des deux tiers dans les organisations syndicales, ce qui n’est pas du tout le cas lorsqu’on a une sensibilité située au centre, à droite ou à l’extrême droite. Une telle analyse ne serait pas complète si on n’évoquait pas le chiffre de presque un tiers des partisans du RN qui ont confiance dans les organisations syndicales, chiffre bien plus important que pour le reste de la droite : cela illustre une recomposition de l’électorat du RN, plus populaire, et sans doute plus ancré dans le monde du travail.
Un rôle positif de l’action syndicale ?
L’enquête apporte une série d’informations complémentaires sur le rôle des organisations de défense des travailleurs et des travailleuses. À la nouvelle question posée en 2025 « selon vous aujourd’hui, est-ce que les syndicats par leur action permettent d’améliorer concrètement la situation des salariés et des retraités ? », la réponse est sans appel : 70 % des sondé.es répondent « non » ! Là encore, la proximité politique donne des résultats complémentaires : les seules proximités partisanes qui donnent des résultats positifs supérieurs à 50 % se retrouvent du côté de LFI, du PCF, de EELV (entre 52 et 59 %), pour la proximité avec le PS, le chiffre de 46%, puis les chiffres baissent lorsqu’on évoque le centre, la droite et l’extrême droite.
Une donnée complémentaire a ici son importance : c’est la catégorie la plus jeune de la population (moins de 35 ans) qui a répondu le plus positivement à 41 %. Ce point offre un support pour le développement des organisations syndicales et apparait comme contre intuitive : on pense souvent que les plus jeunes sont éloignés de la question syndicale, mais un tel chiffre oblige à examiner à nouveau ce sujet. Cela signifie aussi que lorsqu’on est pas encore totalement entré sur le marché du travail, on a un a priori positif concernant les organisations syndicales.
Concernant les moyens d’action, une nouvelle question a également été posée : une majorité de l’opinion considère que l’action intersyndicale du 18 septembre dernier était justifiée, avec un chiffre de 61% au total : ce chiffre est de plus de 80 % en fonction de la proximité partisane située à gauche (mais aussi avec 62 % pour le RN).
Que retenir ?
Cette enquête révèle plusieurs indications importantes et parfois apparemment contradictoires concernant les organisations syndicales : même si la confiance dans ce type de structures est en baisse cette année, cela reste une des « institutions » en qui l’opinion accorde le plus sa confiance. L’actualité sociale et économique peut expliquer ce fait, puis les mobilisations récentes depuis 2023 ont redoré le blason de l’action syndicale. Pour autant, lorsqu’on interroge l’opinion sur le rôle des syndicats, on voit des résultats davantage contrastés : on doute de l’efficacité des organisations syndicales et on ne pense pas qu’elles jouent suffisamment leur rôle de défense des salarié.es et des personnels.
L’enquête met également en évidence l’image des syndicats en fonction de la préférence partisane : à droite, on a globalement une image négative des syndicats, tandis qu’à gauche on fait bien davantage confiance dans ces organisations pour apporter des améliorations sociales. Les chiffres sont suffisamment clairs pour qu’on doive en tenir compte. Concernant le Rassemblement national, on peut déceler dans les chiffres rapportés, un positionnement nouveau au sein du monde du travail, dont il faut avoir conscience.
Enfin, cette nouvelle édition de « Fractures françaises » apporte des éléments nouveaux, ce qui oblige à s’interroger sur le rôle et la fonction des organisations comme nous l’évoquions dans un précédent article : « Quel chemin prendre pour le renouveau syndical ? »
Pour aller plus loin
L’édition 2025 de « Fractures Françaises » est disponible en ligne sur le site de la Fondation Jean-Jaurès https://www.jean-jaures.org/publication/fractures-francaises-les-resultats/
[1] Voir en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/le-rassemblement-national-et-tous-les-autres/
[2] Voir en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/fractures-francaises-2025-la-lassitude-de-la-societe-francaise/
En savoir plus sur Centre de Recherche de Formation et d'Histoire sociale - Centre Henri Aigueperse - Unsa Education
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.



Laisser un commentaire