Les jeunes et leur laïcité : entre attachement et volonté d’évolution

Publié aux Presses de Sciences Po, l’ouvrage Les jeunes et leur laïcité de Charles Mercier et Philippe Portier propose une analyse approfondie des représentations et usages contemporains de la laïcité parmi les jeunes générations (18-30 ans). 

À rebours des discours alarmistes qui les dépeignent comme indifférents, contestataires voire en rupture avec les principes républicains, les auteurs montrent qu’ils élaborent au contraire des formes renouvelées d’adhésion, marquées par des préoccupations liées à l’égalité, à la justice sociale et au pluralisme culturel. Fondée sur des enquêtes sociologiques solides, de récits de jeunes issus de milieux sociaux et d’origines variés, cette étude éclaire le rapport des jeunes au cadre laïque.

Ne nous y trompons pas ! Contrairement à ce qu’on entend ici et là, la majorité des jeunes restent attachés à la laïcité. Ils y adhèrent même largement, et sont 89% à déclarer connaître et comprendre cette notion. Pour eux, la laïcité n’est pas en premier lieu un régime de contrôle des expressions religieuses, elle constitue au contraire, un principe de protection, garant de la liberté de conscience et de l’égalité entre individus. Ils l’associent aussi à la neutralité de l’État. C’est finalement avant tout un espace commun où chacun peut coexister dans le respect mutuel. C. Mercier et P. Portier montrent ainsi que les jeunes se démarquent d’une conception de fermeté (voire de fermeture) de la laïcité, souvent dominante dans les débats politiques actuels.

L’École ou l’apprentissage de la laïcité 

L’École est régulièrement citée par les sondé·es comme un endroit sensible. C’est là que les jeunes rencontrent concrètement la laïcité, à travers des règlements, des cours d’enseignement moral et civique, ou encore des interactions quotidiennes. Et c’est aussi là qu’ils la questionnent. La construction de la citoyenneté à l’école est donc essentielle et permet une bonne compréhension du principe de laïcité.

Les auteurs soulignent en effet que cette confrontation est ambivalente : l’école est perçue à la fois comme un cadre garantissant un espace neutre propice à l’apprentissage, mais aussi comme un lieu de crispations, notamment autour du port de signes religieux, le voile en particulier. « Je ne vois pas en quoi ça va me gêner dans ma vie quotidienne qu’une personne porte une kippa devant moi (…) Que ce soit le voile, la croix, peu importe » déclare une jeune femme interviewée, réflexion symptomatique de nombreux autres propos tenus. On le voit, la laïcité est trop souvent confondue avec la tolérance, il faut donc approfondir progressivement les connaissances des jeunes sur ce point.

La laïcité scolaire reste un objet de socialisation complexe, en constante négociation, les 18-30 ans étant globalement plus libéraux à ce sujet que leurs aînés. C’est d’ailleurs sans doute, pour les auteurs, le fait qu’ils soient mieux formés que les personnes plus âgées qui explique qu’ « ils seraient restés (…) alignés sur la définitions juridique du terme ».

Un rapport plus critique à l’État

De la même manière, les jeunes semblent développer un rapport plus distancié à l’autorité étatique que les générations précédentes. Si le principe de laïcité est légitime à leurs yeux, certaines politiques publiques sont perçues comme trop coercitives ou appliquées de manière inégale et même pour certains, ne viser « que les musulmans ». Nombreux sont ceux qui considèrent « que le principe de laïcité est instrumentalisée, (…) qu’il y a un décalage  entre la définition apprise à l’école  et la présentation qui en est faite dans les médias et dans l’opinion publique». 

Cette posture critique ne se traduit pas par un rejet du cadre républicain, mais par une volonté que celui-ci intègre les changements sociétaux qui favorisent la lutte contre les discriminations, la reconnaissance des identités multiples, etc. Effectivement si on peut concevoir la laïcité comme une promesse de liberté et d’égalité, il faut se préoccuper des inégalités sociales dans notre pays pour ne pas avoir un modèle républicain figé et en décalage avec la réalité.

Une jeunesse plurielle 

Néanmoins, les « jeunes » ne forment pas une entité unique. Les auteurs montrent qu’outre le milieu social et religieux, leur penchant politique et leur insertion dans la mondialisation jouent un rôle dans leur vision de la laïcité. Sans surprise, les jeunes qui se situent à droite sont pour une assimilation quand les jeunes musulman·es réclament plus d’inclusion. Mais les auteurs prouvent aussi que plus le lien à la mondialisation est élevé, plus les sondé·es se montrent ouvert·es sur une tolérance vis à vis des signes religieux mais fermes sur les principes, c’est l’inverse quand il est faible. Ce constat a priori contre-intuitif, s’explique souvent par des expériences vécues à l’étranger : « C’est par exemple désagréable d’être dans un pays et de savoir que la religion que l’on pratique est considérée comme inférieure à une autre, (…), et je pense aussi que c’est bien que le pouvoir politique soit séparé du pouvoir religieux. » On perçoit dans la jeunesse plusieurs revendications identitaires qui touchent l’ensemble des croyances religieuses, bien souvent avec une approche rigoriste et volontairement visible. Ce phénomène nouveau interroge aussi le principe laïque et il est important de le prendre en compte pour garder un cadre démocratique égalitaire.

Les auteurs ont donc cherché à établir une typologie qui classe les sensibilités laïques des jeunes générations. Ils  en distinguent 4 principales : 

  • la laïcité d’émancipation, qui vise l’égalité et la justice sociale à travers un recul ou du moins un contrôle de la religion dans l’espace public. 
  • La laïcité d’inclusion, qui vise aussi égalité et justice mais pensent que pour cela, il faut au contraire reconnaître les identités religieuses, notamment celles qui sont minoritaires. 
  • La laïcité d’intégration qui combine « non jugement » et cadre stricte qui fixe des règles identiques et imposent un respect des codes du pays d’accueil. 
  • La laïcité d’assimilation qui prône le respect des normes et des cadres de la majorité culturelle et par conséquent, l’abandon par les immigrants de leurs pratiques religieuses exogènes. 

À l’heure où la laïcité occupe une place centrale dans le débat public, souvent sur un mode conflictuel, ce livre apporte un regard nuancé et éclairant sur ce que pensent réellement les jeunes. L’ouvrage montre qu’ils ne sont ni indifférents ni homogènes, mais qu’ils développent une laïcité qui porte la marque de leur époque : plus sensible à la diversité, à la justice sociale et à l’expérience personnelle. Les jeunes et leur laïcité est un livre à consulter pour quiconque s’intéresse à l’éducation, aux politiques publiques, ou tout simplement à la manière dont la société française évolue.

Charles Mercier et Philippe Portier, Les Jeunes et leur laïcité, Les Presses de SciencesPo, 2025

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Entretien avec Philippe Portier

Charles Mercier est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux (France) et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Il est membre du Laboratoire Cultures, Éducation, Sociétés (LACES EA 7437), et membre associé du Groupe Sociétés Religions Laïcités (EPHE/CNRS). Il a publié de nombreux articles et écrit ou co-édité de nombreux livres, dont L’Église, les jeunes et la mondialisation : une histoire des JMJ (2020) et Nouveaux vocabulaires de la laïcité (2020). Ses recherches actuelles portent sur les jeunes, les religions et la laïcité dans une époque mondialisée. 

Philippe Portier a été professeur de science politique à l’Université Rennes 1 de 1995 à 2007. Il est depuis 2007 directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des laïcités. Il a co-fondé la Vigie de la laïcité en 2021. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur les laïcités, la sociologie du religieux, la relation religion/politique, la théorie politique. Il travaille actuellement sur l’analyse comparée des régimes de laïcité et, après avoir dirigé l’enquête archivistique de la Commission Sauvé (sur les abus sexuels dans l’Église), sur les violences sexuelles dans les mondes religieux.

Ressources utiles pour aller plus loin :

Fondation Jean Jaurès, Ce que pensent les jeunes Français de la laïcité, mars 2024, en ligne

Olivier Galland, Anne Muxel (dir.) La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, PUF, 2018.

Julien Talpin et alii, L’épreuve de la discrimination, PUF, 2021.

Enquête IFOP pour la Fondation Jean Jaurès et Charlie Hebdo : Le rapport des Français à la liberté d’expression, à la satire et aux dessins de presse, janvier 2025


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