Le 9 décembre 1905 est promulguée la loi de séparation des Églises et de l’État. Après plusieurs mois de débats, les deux chambres parlementaires adoptent ce texte qui est publié au Journal officiel le 11 décembre suivant. Devenue la pierre angulaire de la laïcité dans notre pays, cette loi de séparation fête aujourd’hui ses 120 ans. Depuis 2015, le 9 décembre est la journée de la laïcité à l’école et depuis 2021, ce jour est institutionnalisé au sein de la fonction publique. Ce temps de commémoration est un moment propice pour revenir sur l’histoire de cette loi, mais aussi sur l’importance de ce principe dans notre pays. 120 ans après, quel est l’avenir de la laïcité en France ?
La laïcité repose sur des fondements simples mais pour bien en saisir la portée, il faut tout d’abord rappeler qu’elle repose sur un ensemble de règles juridiques, mais aussi sur une construction historique, tout en s’incarnant dans une conception singulière du monde. Il faut donc mobiliser plusieurs connaissances pour bien comprendre le principe laïque. Deux écueils sont à éviter : voir dans la laïcité un principe suranné, guère adapté à la situation présente de la France ancrée dans la mondialisation et l’Union européenne. Et penser que la laïcité est un tout cohérent qui se suffit à lui-même. En effet, si elle est un principe fondamental, elle n’englobe pas l’ensemble des enjeux actuels auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Mais elle n’est pas pour autant obsolète, bien au contraire.
La construction progressive du principe de laïcité
Toutes les démocraties reposent sur un principe de séparation du politique et du religieux. Ce n’est donc pas spécifique à la France, c’est une règle démocratique née à partir du XVIIIème siècle que l’on retrouve en Europe et aux États-Unis. Cette séparation a pris des formes concrètes différentes. Deux grandes traditions existent jusqu’à aujourd’hui : la tradition de type anglo-saxon qui insiste sur la liberté religieuse contre toute intervention de l’État et la tradition républicaine française où cette séparation est organisée par l’État. Entre ces deux positions, il y a une multitude d’options qui est souvent le fruit de l’histoire du pays concerné. La sécularisation, c’est-à-dire le phénomène qui réduit l’influence religieuse dans le domaine public, s’est étendue sous des formes multiples.
La République française a constitutionnalisé le cadre laïque depuis 1946 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »[1]. D’autres pays ont appliqué ce principe comme le Mexique[2] ou les États-Unis[3] avant la France. L’histoire de la laïcité est en effet mondiale et non pas restreinte à notre pays[4].
Plusieurs composantes du principe de laïcité se retrouvent dans toutes les démocraties comme la liberté de conscience, la liberté de culte, ou bien encore l’égalité devant la loi sans distinction de religion. Mais d’autres dimensions sont absentes ou sont affirmées de manière moins catégorique. C’est principalement le cas de la neutralité confessionnelle des pouvoirs publics[5] mais également du principe de suprématie de la loi commune sur la loi religieuse[6]. Cette pluralité de situations rend complexe le sujet de la laïcité dans les débats publics.
Il faut également comprendre la vision du monde que la laïcité induit. Tout d’abord, le principe laïque établi par la loi de 1905 va bien au-delà du régime de tolérance[7]. La laïcité, articulée avec la liberté de conscience et la liberté d’expression, permet aux croyances et incroyances de vivre dans un espace politique où l’État ne reconnait aucune religion au détriment d’autres et où tous les cultes sont traités à égalité[8].
La laïcité est donc un principale fondamental dans notre République car elle permet une totale liberté de conscience, sépare les Églises de l’État, ce qui installe dans le droit l’égalité de toutes et tous du point des croyances qu’on peut avoir. Les religions demeurent présentes et leur libre exercice est garantie comme un droit fondamental, mais elles ne concernent que la sphère privée. Liberté et égalité sont donc ici essentiels. Enfin, la laïcité permet une cohésion de l’ensemble de la société, très divisée auparavant, ce qui fait qu’elle permet une fraternité en actes. On doit enfin retenir que la laïcité permet l’émancipation. Ce beau mot est un peu oublié aujourd’hui et pourtant il est primordial : s’émanciper, c’est tout d’abord agir, une action qui permet de s’affranchir de l’autorité quelle qu’elle soit[9]. C’est un acte qui est rendu concret par la laïcité, que ce soit avec l’éducation qui a mission de former des citoyens et des citoyennes, ou au jour le jour, alors que des tentations autoritaires ou obscurantistes sont de plus en plus visibles.
La laïcité est aujourd’hui un principe constitutionnel qui garantit le triptyque républicain, liberté, égalité, fraternité : liberté de conscience et liberté de culture, égalité devant la loi sans distinction de religion, fraternité en assurant la cohésion nationale et la protection du bien commun.
En cela, elle garantit pleinement la paix civile dans la société, mais elle n’exclut pas les débats et les confrontations. Toutefois, il est dès lors indispensable de connaître l’histoire de la laïcité et en particulier celle de la loi de 1905 pour mieux comprendre comme ce principe s’est institué en France.
Regard historique sur la loi de 1905
La loi de 1905 s’inscrit dans une histoire longue qu’il faut ici rappeler à grands traits[10].En 1789, la France révolutionnaire se pense encore religieuse et se veut chrétienne. Mais dès ce moment on assiste à une phase de déchristianisation dans de nombreux territoires du pays[11]. Le rôle et l’influence des philosophes des Lumières du XVIIIe siècle sont alors majeurs, avec la critique des dogmes, des rites, et leurs actions en faveur de la tolérance et de la sécularisation[12]. On assiste également à une première séparation des Églises et de l’État, mais celle-ci est avortée dans le contexte révolutionnaire que connaît le pays. Cette expérience, qui se termine par un échec et par l’instauration du Concordat de 1801 par Napoléon, est ensuite une référence pour de nombreux partisans d’une séparation durable durant tout le XIXème siècle. Ainsi, le socialiste Auguste Blanqui (1805-1881) se réclame d’un socialisme athée, farouchement anticlérical qui marque profondément des générations de socialistes et de républicains par la suite[13]. Plus tard, la Commune de Paris établit une deuxième séparation des Églises et de l’État sans que celle-ci soit durable. En effet, un des premiers décrets de ce nouveau pouvoir est celui de la séparation le 3 avril 1871. De cette situation découle la laïcisation des écoles le 18 mai suivant mais l’expérience n’est que de courte durée. Cette nouvelle tentative se termine par un retour à l’ordre et l’instauration de la IIIe République. C’est ce nouveau régime qui permet la laïcisation durable des pouvoirs publics.
Pour installer et renforcer le nouveau régime républicain, les lois de laïcisation des années 1880 sous l’égide de Jules Ferry sont mises en place. Cela créé des liens forts entre l’école et la laïcité jusqu’à aujourd’hui[14]. L’école primaire devient obligatoire, gratuite et laïque. Les personnels éducatifs deviennent définitivement laïques grâce à la loi Goblet de 1886. On assiste à une multiplication de constructions d’écoles publiques sur tout le territoire et les instituteurs et institutrices deviennent le fer de lance de la laïcité en France[15]. Mais la religion est toujours très présente dans le domaine public : républicains et cléricaux s’affrontent à la fin du XIXe siècle mettant en péril la stabilité du nouveau régime. La laïcisation des autres institutions et services publics est mise en place dans les années suivantes mais pour tous les républicains, le projet laïque passe aussi par une loi qui sépare la puissance publique des religions. L‘Affaire Dreyfus a révélé la fragilité des institutions et la croissance de groupes politiques antirépublicains. C’est pourquoi l’alliance des républicains modérés, des radicaux et de certains socialistes comme Jaurès sous le nom de « bloc des gauches » se met en place. Cette alliance obtient une majorité des suffrages en 1902, et souhaite avancer sur la question de la sécularisation de l’État, afin d’éviter un renversement des institutions sous la pression de courants réactionnaires soutenus par de nombreux catholiques conservateurs.
Dans ce contexte de division, un long travail parlementaire a lieu, et il est avant tout mené par Aristide Briand (1862-1932) qui est alors socialiste. Il s’en détache après 1905 pour se rapprocher du centre-gauche[16]. Il est aidé par Jean Jaurès (1859-1914) qui est un des leaders de la gauche socialiste à la chambre des députés. Pour lui, la république est l’héritière de la Révolution française, et elle doit être laïque et sociale à la fois[17].
Le grand tribun socialiste a sans cesse manifesté son attachement à la république et pour que ce régime soit consolidé, il pense, à l’instar des initiateurs de la IIIe république, qu’il faut procéder à une laïcisation des principales institutions du pays. Pour Jaurès, il faut aller plus loin encore : une fois la laïcité bien établie dans le pays, le régime devra voter des réformes sociales qui permettront une réelle émancipation du peuple français. La France passera ainsi de la république laïque à la république sociale, qui est selon lui le dernier stade avant l’instauration définitive du socialisme. Ainsi, le 30 juillet 1904, il prononce un discours de fin d’année dans son ancien collège de Castres où il affirme que la démocratie « est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques. »
Aristide Briand, qui est le rapporteur du projet de loi, fut un ami proche de Jaurès avant l’unification des forces socialistes au sein de la SFIO en 1905. Il s’est ensuite écarté de sa famille politique d’origine, mais son action a permis l’adoption progressive définitive de la loi le 9 décembre 1905. Agé de 44 ans et relativement méconnu avant ce débat, Briand se révèle un formidable débatteur et réussit à convaincre article par article une majorité de députés. Les débats parlementaires débutent en mars 1905 pour se terminer à l’été, puis c’est au tour du Sénat de discuter de ce projet de loi. Jouant des divisions, faisant preuve d’une ténacité hors du commun, le député est aidé par une équipe de proches, souvent juristes, qui lui apporte une aide précieuse. Dans ce patient travail, il est donc épaulé par Jaurès et d’autres socialistes, en particulier pour l’adoption de l’article 4 qui précise la liberté de culte et permet aux Églises de s’organiser selon leurs règles propres. L’autonomie du pouvoir politique est conquise, mais la paix religieuse est garantie par la liberté. La loi est adoptée par 341 députés contre 233, alors que beaucoup pensaient cela impossible à l’ouverture des discussions. Les débats au Sénat furent brefs et 181 sénateurs contre 102 vont dans le même sens. La loi est rendue publique au début décembre 1905 et entre en application au 1er janvier 1906. Pour Aristide Briand, ce vote est une première consécration : il abandonne les rangs du parti socialiste et devient ministre de l’Instruction et des cultes, ce qui lui permet de mettre en place les aspects pratiques de la loi de 1905. Des heurts et des oppositions ont lieu en 1906, mais progressivement les catholiques se rallient à cette loi après la Première Guerre mondiale.
Comment faire vivre la laïcité pour en faire une idée d’avenir ?
L’éducation à la laïcité est une mission essentielle dès la IIIe République. Elle est aujourd’hui rappelée dans le Code de l’éducation, en particulier dans l’article 111.1 : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. Par son organisation et ses méthodes, comme par la formation des maîtres qui y enseignent, il favorise la coopération entre les élèves. »
Cela passe également par d’autres dispositifs légaux complémentaires aux lois précédentes, comme les circulaires Jean Zay de 1936-1937[18] ou bien encore la loi de 2004[19]. Cela entraîne une adhésion forte de tous les Françaises et les Français à ce principe comme le montrent régulièrement les études d’opinion.
La laïcité peut se concevoir comme une promesse d’égalité, de liberté et de fraternité pour l’ensemble des Françaises et des Français. C’est pourquoi il est essentiel que l’éducation et la formation sur cette thématique fassent l’objet de toutes les attentions. Cependant, il ne faut pas négliger d’autres aspects : le récent rapport de la Défenseure des droits[20] sur les discriminations fondées sur la religion montre que la laïcité dans la société peut être dévoyée ou mal comprise. Il est donc essentiel aujourd’hui de faire vivre au quotidien le principe laïque et de faire en sorte que le modèle républicain et les valeurs sur lesquelles il s’est bâti ne soient pas seulement une promesse mais deviennent au plus vite une réalité concrète. C’est pourquoi il est indispensable de mieux comprendre la portée de la loi de séparation des Églises et de l’État votée il y a 120 ans.
NB : Source de l’image « Une séance à la chambre des députés », ou « Jaurès à la tribune » René Achille Rousseau Decelle, 1907, exposé actuellement au palais Bourbon.
[1] Article 1 de la Constitution de 1946, repris dans la Constitution de 1958.
[2] Au moment des discussions parlementaires de 1905, Aristide Briand voit dans le Mexique le pays qui a la législation laïque la plus complète.
[3] Voir à ce sujet les travaux de Denis Lacorne, De la Religion en Amérique, Folio essais, 2012 et Les frontières de la tolérance, Gallimard, 2016.
[4] Plusieurs références sont à mentionner : Jean Baubérot, Les laïcités dans le monde, PUF, Que-sais-Je ? 2020 , Jean- Claude Boual, La laïcité en Europe. Un combat d’actualité pour une idée neuve, L’Harmattan, 2024 et « 1905 : une laïcité à la française ? » in Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la France, Seuil histoire, 2018. Voir aussi notre article « Mieux comprendre les contours de la laïcité » https://centrehenriaigueperse.com/2025/12/06/mieux-comprendre-les-contours-de-la-laicite/
[5] On peut le retrouver toutefois dans l’exemple du Québec.
[6] Voir à ce sujet la réflexion roborative de Bruno Karsenti, La Place de Dieu. Religion et politique chez les modernes, Fayard, 2023.
[7] Sur les liens entre tolérance et conception laïque, voir Michael Walzer, Traité sur la tolérance, Gallimard, 1998.
[8] Voir Dominique Schnapper, La communauté des citoyens : sur l’idée moderne de nation, Gallimard, 1991 et Cécile Laborde, Philosophie libérale de la religion, Hermann, 2023.
[9] Voir le livre de l’historienne Michèle Riot-Sarcey, Mais où est passée l’émancipation, éditions du détour, 2025.
[10] Parmi les ouvrages les plus importants sur l’histoire de la loi de 1905, Jean Marie Mayeur, La séparation de l’Eglise et de l’Etat, Julliard, 1966 et plus récent Patrick Weil, De la laïcité en France, Grasset, 2021.
[11] Parmi une historiographie très riche, voir Rita Hermont-Belot, Aux sources de l’idée laïque : Révolution et pluralité religieuse, Odile Jacob,2015.
[12] Voir l’excellent essai de Stéphanie Roza, Lumières de la gauche, Publication de la Sorbonne, 2022.
[13] Maurice Paz, Un révolutionnaire professionnel, Auguste Blanqui, Fayard, 1984.
[14] Mona Ozouf, L’École, l’Église et la République, Points Seuil Histoire, 2007.
[15] Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, Points Seuil Histoire, 2001.
[16] Voir Bernard Oudin, Aristide Briand, Perrin, 2016 et notre article « La loi de 1905 en bande dessinée » https://centrehenriaigueperse.com/2025/11/28/la-loi-de-1905-en-bande-dessinee/
[17] Voir Benoît Kermoal, « Jaurès et la laïcité » note pour la fondation Jean-Jaurès, en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/jaures-et-la-laicite/
[18] Voir Benoît Kermoal « Le Front populaire et l’école », note de la fondation Jean-Jaurès, en ligne https://www.jean-jaures.org/publication/le-front-populaire-et-lecole/
[19] Anne Claire Husser, Philippe Martin, Yves Verneuil (dir.), La Laïcité scolaire. La loi de 2004 vingts ans après, PUL, 2024.
[20] Voir en ligne https://www.defenseurdesdroits.fr/discriminations-fondees-sur-la-religion-un-rapport-de-la-defenseure-des-droits-pour-rappeler-le
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