En 2024, une large majorité de Françaises et de Français considère que « c’était mieux avant ». Ce jugement est particulièrement répandu chez les jeunes : deux tiers des moins de 35 ans partagent ce sentiment. Cette nostalgie traduit à la fois une impression de déclassement, une désillusion face au présent et une inquiétude croissante pour l’avenir. Pour objectiver ce ressenti, la Note Flash publiée en octobre 2025 par le Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan propose une comparaison systématique entre la situation des jeunes de moins de 30 ans de 1975-1980 et celle des générations actuelles.
Une jeunesse plus diplômée mais une entrée dans l’emploi plus complexe et inégalitaire
Depuis cinquante ans, le niveau de qualification des jeunes a nettement progressé. Au milieu des années 1970, un jeune actif sur cinq était diplômé du supérieur, ils sont aujourd’hui un sur deux. Cette massification scolaire constitue un progrès indéniable mais s’accompagne d’un affaiblissement de la valeur relative des diplômes. L’élévation du niveau d’études a été plus rapide que l’évolution de la structure des emplois : le marché du travail n’a pas absorbé la montée des qualifications. Une part croissante de jeunes diplômés occupe ainsi des emplois sous-qualifiés ou instables. De quoi, sans doute, provoquer un sentiment de déclassement.
Les débuts de carrière sont, eux aussi, plus heurtés qu’il y a cinquante ans. L’entrée dans l’emploi est plus tardive, plus incertaine : les premières années de la vie active sont rythmées par les CDD, l’intérim et les périodes d’inactivités. En 2023, neuf jeunes sans diplôme sur dix ne sont pas en emploi stable : leur taux de chômage atteint 30 %, contre 11 % pour les diplômés du supérieur. Ce phénomène n’est pas propre à la France. L’OCDE documente dans la plupart des pays développés un « youth earnings gap »1, montrant que les nouvelles générations commencent leur carrière dans une position plus désavantagée que celles de leurs aîné.es au même âge.
Une situation salariale en demi-teinte et un accès au logement qui s’est nettement durci
En euros constants, le salaire perçu lors du premier emploi est supérieur à celui des jeunes des années 1970 : de plus de 10% , même en tenant compte de l’inflation. L’écart salarial entre les femmes et les hommes a aussi été divisé par deux entre le début des années 1980 et aujourd’hui.
Enfin une bonne nouvelle ? Tout dépend de la focale. Si l’on considère le salaire d’entrée dans la vie active, la situation des jeunes ne s’est pas améliorée au même rythme que pour l’ensemble de la population. Ce salaire a progressé beaucoup moins vite que le PIB par habitant ou que les revenus des générations plus âgées. Autrement dit, les jeunes ne commencent pas leur carrière au même niveau relatif que leurs aîné.es : leur position sur l’échelle des revenus s’est affaiblie, ce que confirment également les comparaisons internationales2.
La question du logement met encore davantage en lumière les difficultés auxquelles nos jeunes compatriotes sont confrontés. En un demi-siècle, l’accès au patrimoine s’est fortement déplacé vers les générations plus âgées . Les personnes aujourd’hui héritent plus tard, à un âge désormais proche de la cinquantaine, et disposent beaucoup moins souvent d’un capital immobilier personnel. L’effort financier nécessaire pour se loger a, lui aussi, considérablement augmenté. Le poids du loyer dans le budget des locataires a plus que doublé depuis 1975. L’accession à la propriété exige des durées d’emprunt bien plus longues qu’il y a quarante ans : pour un logement comparable et un apport initial similaire, il fallait rembourser une dizaine d’années dans les années 1970 contre plus de vingt ans aujourd’hui. Cette tendance ne concerne pas seulement la France : plusieurs pays développés, comme le Royaume-Uni, voient émerger une « génération locataire » 3durablement tenue à distance de la propriété privée. Pour ce point, c’était donc mieux, ou du moins, plus facile, avant.
Des conditions de vie qui se sont pourtant améliorées
Après ce constat en demi-teinte, le rapport livre quelques bonnes nouvelles. Parallèlement à ces fragilisations économiques, les conditions de vie se sont améliorées sur d’autres dimensions. Les droits individuels se sont considérablement étendus en cinquante ans. L’accès généralisé à la contraception, la consolidation du droit à l’avortement, la réduction des inégalités professionnelles entre femmes et hommes et la reconnaissance des couples de même sexe ont profondément redessiné les trajectoires de vie. Les jeunes d’aujourd’hui sont globalement libres de leurs choix, quand un carcan de normes sociales fortes pesait sur les générations des années 1970.
Cette individualisation croissante des parcours a des répercussions sur les trajectoires familiales. Le mariage, qui concernait 80 % des jeunes de 30 ans en 1975, n’en concerne plus qu’un quart aujourd’hui. Les séparations sont plus fréquentes, les familles monoparentales ont doublé et l’entrée dans la parentalité est nettement plus tardive : 29 ans pour les femmes aujourd’hui, contre 24 ans en 1975.
Moins attendu, le rapport au travail et au temps a également évolué. Depuis 1975, la durée annuelle de travail a diminué de 17 %, ce qui a contribué à augmenter le temps disponible pour les loisirs et la vie privée. Entre 1974 et 2010, la population française a gagné en moyenne une heure et vingt minutes de temps libre par jour. Pourtant, malgré cet allégement, le travail n’est pas devenu une sinécure : un tiers des 25-29 ans déclarent travailler souvent sous pression (17 % au début des années 1980).
Alors, vous avez dit grand déclassement?
L’idée d’un grand déclassement de la jeunesse ne peut être perçue qu’en appréhendant ses différentes facettes. Les jeunes sont aujourd’hui plus diplômés, ont plus de droits, plus de temps libre etc. mais, dans le même temps, ils affrontent plus de précarité. Une dimension plus subjective s’ajoute à ce constat : «la jeunesse actuelle est sans doute moins insouciante, plus inquiète pour l’avenir ». 80 % des moins de 35 ans se disent préoccupés par le changement climatique ou géopolitique. « C’est donc aussi dans la perception de ces évolutions globales, sur lesquelles chacun a peu de prise, que doit se comprendre le malaise de la jeunesse actuelle » nous rappelle ce rapport.
Lire la note : Haut Commissariat à la stratégie et au Plan: Jeunesse d’hier et d’aujourd’hui, le grand déclassement? , Antoine Bristielle, Anne Bucher et Pierre-Yves Cusset, octobre 2025
- Education at a glance 2025, Transition from education to work: Where are today’s youth?, OCDE, 2025 nombreux indicateurs disponibles ↩︎
- IBID ↩︎
- Rapport de l’INJEP : L’accès au logement des jeunes à l’épreuve des contraintes et des inégalités, 25 novembre 2025 ↩︎
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